La question de la ville et de l’urbain a toujours suscité un intérêt grandissant au sein des lettres et des sciences humaines et sociales. Nombre de travaux émanant de ces disciplines (histoire, géographie, anthropologie, littérature…) ont rendu compte des mutations et des dynamiques qu’a connues la ville et sont devenus des références incontournables. En effet, depuis la société dite industrielle jusqu’à l’ère contemporaine, l’évolution de ces disciplines constitue une dimension de la réalité urbaine elle-même.
La complexité de cette réalité a généré une prolifération notionnelle et conceptuelle : « ville monde », « ville réseau », « ville intelligente », « ville satellite »… Ces désignations tentent de saisir des phénomènes urbains souvent inédits. Parallèlement à ce paradigme, d’autres qualifications apparaissent pour classer, voire hiérarchiser les villes selon des critères différents : on parle ainsi de la ville « la plus belle », « la plus chère », « la plus dangereuse », « la plus sûre »…
Dans le domaine de l’art et de la littérature, certaines villes sont devenues légendaires et leurs noms sont aujourd’hui associés à des noms d’artistes et d’écrivains célèbres: Paris (Zola, Balzac, Hugo, …), Venise (Mann, Aragon, Hemingway, visconti…), Tanger (Choukri, Bowles, Genet, Matisse), Vienne (Strauss fils,….)…
Ainsi, en proposant pour ce colloque la thématique de la ville et de l’urbain, l’objectif escompté était de donner une forme concrète à l’orientation, maintenant devenue inévitable, de l’inter et de la pluridisciplinarité dans les différents domaines de la connaissance.
De ce fait, tout au long des deux journées du colloque, on a fini par découvrir qu’il n’existe pas de « ville » au singulier, et qu’il serait décidément insensé de croire qu’il suffirait de prononcer ce mot « ville » pour que, tout d’un coup, dans les esprits des uns et des autres, s’allume la même idée ou que jaillissent les mêmes images, qu’il serait téméraire de soutenir qu’une discipline plutôt qu’une autre pourrait s’arroger impunément le droit de la définir ou de la représenter. La ville, au sens générique du terme, ne se reconnaîtrait que dans ces « regards croisés » qui sous-titrent le thème du colloque.
Aussi, dans le volet de la littérature, la ville a été lue sous le faisceau de l’imaginaire, des configurations symboliques, ou encore celui des métaphores dont certaines étaient obsédantes. Elle a été identifiée dans ses rapports avec les lieux de la fiction, tantôt personnage, tantôt topographie ou mythe, ou encore écriture qui s’alimente de déplacements oniriques, de dévoilements de désirs, traces de l’intime, mémoire ou objet discursif à lire ou à écrire, sens et signifiance, réceptacle des souvenirs, creuset des stéréotypes…
C’est que la ville, quand on décide un jour de ne plus seulement y vivre, mais aussi d’en interroger les figures, apparaît comme un ensemble de signes à déchiffrer, de construits sémiologiques à modéliser, à classifier. C’est pourquoi les sémiologues, participant aux travaux de ce colloque, l’ont déclinée en programme à analyser en icônes et indices (sous-titre du thème du colloque : « nouvelles visions »).
Et quand on prend le soin de l’écouter, c’est une langue incessamment renouvelée. Et les (socio)linguistes et sociologues nous ont appris à nous rendre compte des systèmes et codes qui la structurent, des langues qui s’y pratiquent, des aires où s’entendent des voix qui disent le politique, le social, l’humain, les appartenances, les identités, les conflits, les alliances, les aspirations, les mutations…
D’autres chercheurs en ont interrogé la morphologie profonde. Et alors, la ville, toujours à connaître, cette sorte de géographie cordiale, semblait se chercher une cohérence urbanistique ou architecturale, s’inventer des solutions à ses difficultés d’esthétique, de gestion du territoire et des circuits.
D’autre part, tous ceux qui ont assisté à ce colloque on pu aussi écouter la ville raconter l’Histoire. Cela a été l’occasion de mieux saisir sa propension à s’ériger en acteur et témoin de faits et d’actions, en rôles à jouer dans les événements, en mémoire à transmettre aux générations futures. Les historiens nous ont rappelé que les lieux, certains lieux privilégiés, une telle ville, une telle parcelle de la ville, vivent d’une vie seconde, liés à jamais à une révolution, à un soulèvement, à la signature d’un traité, à une catastrophe, à un artiste, à un écrivain, à une personnalité …
Mais en fait, la ville est-elle autre chose que l’image en nous de son étendue dans un espace reconstruit selon nos expériences individuelles ou collectives ?
Chacun crée sa ville qu’il porte au fond de lui : souvenirs d’enfance, expérience affective ou professionnelle, aventure, visite fortuite, lieu de vacances, ou de passage, lectures…
Ville-femme, ville-poème, ville-roman, ou ville-livre. Ville à conquérir. Ville rebelle, fermée, ouverte, accueillante, hostile. Quartiers dangereux, lieux interdits ou louches. Villes avec des zones où la langue change, capitales, métropoles, mégalopoles. Villes-dortoirs. Villes de passage. Villes frontalières. Villes disparues… villes à construire…
Ce colloque a donc permis de débattre autour des notions de « ville » et d’ « urbain » dans la relation complexe qui les unit, d’étudier les liens qu’elles tissent entre- elles et de mettre en lumière les modes de vie que laissent entendre les termes de « citadinité », « urbanité »,
« métropolité »… Ces questions, de nature complexe, constituaient des axes dans les productions scientifiques littéraires et artistiques : interpénétration du rural et de l’urbain, exode rural et problèmes d’intégration, précarité, exclusion, citoyenneté à l’ère de la mondialisation, cultures et identités urbaines, urbanité et effritement identitaire, nouveaux rôles des villes, naissance et disparition des villes, …
Le colloque a aussi permis de faire des approches critiques ouvertes sur le local et l’universel, à travers diverses expériences et de saisir l’univers de la ville en tant qu’« utopie », «fantasme », « espace narratif », …