Le portrait de la semaine : Parcours et portrait du Jdidi Abdellah Mehdaoui

Abdellah Mehdaoui, un Jdidi qui a fait sa place à force de bras

Abdellah Mehdaoui. Avocat dijonnais, il exerce aussi au Maroc depuis quelques années. Deux contextes pour une même profession : voilà qui ressemble bien à cet amoureux de la littérature, du cinéma et, globalement, de tout ce qui ouvre sur l’autre.

Plaidoirie pour une sagesse

Cheminer dans la vie en étant accompagné est quelque chose d’extrêmement appréciable. Il y a, bien sûr, les gens qui vous entourent. Mais, son univers intérieur, on le peuple aussi de lectures, de musiques, de films, de spiritualité… Il émane des gens qui sont « entourés » de cette manière une sensation de sagesse, de recul par rapport à la vie, toujours enrichissante. Abdellah Mehdaoui est de ceux-là. À son corps défendant, sans doute, car on est rarement conscient de ces choses mais il suffit d’avoir entendu cet avocat dijonnais évoquer la notion de nomadisme, avec une certaine poésie, en expliquant la manière dont se construisent aujourd’hui les échanges économiques entre les rives nord et sud de la Méditerranée, pour comprendre que cet homme n’est pas seul. Il semble avoir fait de chaque épisode de sa vie une ressource dans laquelle il a puisé et puise encore pour cultiver son propre regard sur le monde.

Installé dans sa ville natale

C’est loin d’être inintéressant surtout lorsqu’on sait qu’Abdellah Mehdaoui est un spécialiste des questions fiscales, ce qui, on en conviendra, n’est pas le domaine qui incite le plus à une certaine élévation de l’esprit. Mais, comme souvent, les gens ne se résument pas à une seule dimension. Ils sont plus complexes et c’est d’ailleurs pour cela que l’on tente de tirer leur portrait. Avocat exerçant à Dijon depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, il a récemment fait le choix d’ouvrir un second cabinet… au Maroc, son pays natal. Une décision motivée par le fait que de plus en plus de Français le sollicitaient pour investir dans ce pays, ou même pour s’y installer, et avaient donc besoin de se renseigner sur des aspects liés au droit, à la législation, à la fiscalité locale. Il se rend donc très régulièrement à El Jadida, une ville située à 80 kilomètres au sud de Casablanca, sur la côte Atlantique où son cabinet est installé. Les allers-retours entre Dijon et le Maroc auront d’ailleurs été fréquents dans son parcours professionnel puisqu’avant de créer son cabinet à Dijon, il avait exercé la fonction de conseiller juridique et fiscal pour le compte de la direction générale de l’industrie du Maroc.

L’installation, plus récente, d’un cabinet à El Jadida ne doit rien au hasard : c’est là qu’Abdellah Mehdaoui a vu le jour, il y a presque soixante ans, dans une famille très modeste. « Je reste, dit-il, très attaché à mon milieu d’origine qui m’a transmis des racines mais aussi des valeurs d’ouverture aux autres et des valeurs de solidarité. J’ai eu la chance, dans ma jeunesse, de croiser des gens qui, malgré leurs origines modestes, forçaient les portes de l’histoire, par leur travail. Quand je repense à eux il me vient une simple devise “Réjouis-toi de les avoir connus !” ». Dans les années soixante-dix, il entame des études de droit au Maroc et obtient une licence à l’université Mohammed V de Rabat. « J’ai eu envie, explique-t-il, de poursuivre mes études vers un troisième cycle afin d’approfondir mes connaissances et je voulais le faire dans un contexte différent. Je suis d’abord arrivé à Grenoble et, l’année d’après, je suis venu préparer un doctorat à Dijon. J’y ai présenté une thèse sur la problématique de la fiscalité marocaine ». Le choix de la France n’était pas forcément incontournable pour Abdellah Mehdaoui. Dans les années soixante-dix, les pays du Maghreb en général, et le Maroc en particulier, riches des indépendances encore neuves, bouillonnent. « On était au confluent de choses importantes, se souvient-il. J’ai eu la chance inouie d’avoir des professeurs de littérature arabe, qui étaient Marocains, mais aussi Syriens, Égyptiens… C’était un mélange extraordinaire et très constructif. En parallèle, il y avait aussi mes professeurs de littérature française qui venaient dispenser un enseignement avec un désintéressement et un engagement total. C’était, pour nous, une ouverture précieuse vers l’Europe ». Abdellah Mehdaoui se sent « en connivence » avec la France, alors qu’il aurait pu faire le choix de partir aux États-Unis, au Canada ou en Europe de l’Est. De ses premiers moments en France, il conserve le souvenir fort de la rencontre avec un couple de grenoblois chez qui il a habité, jeune étudiant : « Ils m’ont accueillis à bras ouvert, parce que leur propre fils venait de partir sur Casablanca, comme expatrié ».

C’est aussi à cette période qu’Abdellah Mehdaoui se bâtit une culture littéraire et cinématographique, faite d’existentialisme, de surréalisme. « J’estime que la vie n’est pas possible sans la littérature et le cinéma. On ne peut pas être un bon juriste si l’on n’a pas un minimum d’ouverture sur ces disciplines. Il y a un cinéaste qui m’a profondément marqué : Francesco Rosi avec le film Oublier Palerme, qui traite du fait qu’à un moment de son existence, on est toujours rattrapé par l’histoire. Les Choses de la vie, de Claude Sautet, a aussi beaucoup compté pour moi. Ces films décrivent comment, en se connaissant mieux soi-même, il est plus facile d’aller vers les autres ». Ses années étudiantes en France lui apportent aussi une vision nouvelle… sur l’histoire du Maroc. « C’était véritablement une redécouverte pour toute une génération de jeunes marocains dont je faisais partie. Le fait colonial commence toujours par cet aspect : le dépouillement d’une population de sa propre histoire, et à cette période de ma vie, j’ai pu me la réapproprier ».

En menant un travail de fond et très personnel sur cette thématique, Abdellah Mehdaoui en est arrivé à s’intéresser à la question du soufisme, un cheminement interne à l’islam porteur de valeurs de paix, de dialogue, d’ouverture. Lorsqu’il aborde ce sujet il insiste sur le fait qu’il préfère parler de spiritualité plutôt que de réduire la chose à une dimension purement religieuse. Chaque année, il se rend à Fès, au Maroc, qui accueille un festival de la culture soufie. Une manière de nourrir une dimension spirituelle plus que jamais utile, à ses yeux, dans une époque telle que la nôtre, tourmentée, riche en inquiétudes, dont il perçoit les soubresauts, notamment à travers son activité professionnelle (il traite souvent de dossiers concernant le droit des étrangers). « La crise que nous vivons, estime-t-il, n’est pas simplement économique. Elle est ontologique, c’est-à-dire qu’elle concerne les êtres avant tout. Je pense que nous vivons quelque chose de transitoire mais de très intéressant, qui nous oblige à avoir une autre approche des choses. Le soufisme en est une, mais elle n’est pas la seule, évidemment… »