À mi-chemin entre Settat et El Jadida, la Kasbah de Boulâaouane, qui fait partie des soixante-seize forteresses construites par Moulay Ismaïl, est un château fort qui se trouve au sommet du point le plus culminant d’un mont rocheux au bord d’un magnifique méandre du fleuve Oum-Rbia. La Kasbah comportait une demeure royale, des maisons de notables, une mosquée et des entrepôts.

 

L’accès à la kasbah se fait par une porte monumentale. Sur sa façade, orienté vers le Sud-Sud-Ouest, une porte monumentale, caractérisée par trois arcs dans un encadrement rectangulaire, porte au fronton une inscription très lisible et fort bien conservée, dont voici la traduction : « Kasbah édifiée sous le règne du victorieux, puissant, conquérant avéré, notre seigneur Ismaïl, le champion de la guerre sainte pour la cause du Maitre du monde, que Dieu lui donne son aide et la victoire, et sous la surveillance de son serviteur, assisté de Dieu, Abou Othman Ilyas Saïd  Ben El Khayat, que Dieu l’assiste, à la date de l’hégire 1122 correspondant à l’année 1710 du calendrier Grégorien». Après avoir franchi cette porte et le porche inférieur, on aperçoit de chaque côté, des réduits pour les gardes et à droite les ruines de la demeure du Sultan Moulay Ismaïl, vaste maison carrée, à grandes et élégantes colonnades et une cour intérieure desservant quatre pièces, Ensuite,. Sur la droite, passés l’entrée principale et le vestibule, se trouve ce qui fut la maison du sultan, de configuration classique, avec sa cour intérieure et ses quatre grandes salles de chaque côté. Là aussi, on voit des vestiges de mosaïques multicolores et de belles arabesques sur plâtre. Sur le sol, gisent des morceaux de colonnes en marbre. Ces colonnes proviendraient du Palais saâdien El Badii de Marrakech. Les annexes et un petit hammam précèdent la maison que devait occuper le seigneur des lieux. Accolée et communiquant par une seule porte avec la cour intérieur de cette maison, une grande tour, d’environ 10 à 12 mètres, fissurée de haut en bas, domine la kasbah et ses environs. L’escalier intérieur, délabré et effondré en partie, ne permet plus malheureusement d’atteindre le sommet de cette tour, d’où l’on devait jouir d’une vue splendide. En face de la maison, le long des remparts, il ya six grands magasins souterrains (silos). Dans l’angle opposé de l’enceinte, s’élève une mosquée dont la toiture effondrée a malheureusement été refaite avec une dalle de béton qui ne rappelle en rien le décor ni les matériaux originels et dont les voûtes sont supportées par 18 colonnes. Dans l’une des cours de cette mosquée, on voit la petite Koubba et le tombeau de Sidi El Mansar. De nos jours, la Koubba et le tombeau de Sidi El Mansar est le lieu très fréquenté des épouses stériles qui viennent en pèlerinage demander au santon les joies de la maternité. Au Nord de la kasbah, une porte, qui n’existait pas à l’origine, a été ouverte en 1949 par un colon qui exploitait des terres aux alentours.

 

Selon une hypothèse séduisante mais non vérifiée, le nom de Boulâaouane tirerait son origine de « bilaouane », épithète berbère signifiant « boyaux ». Abou A1 Hassan A1 Ouazzane dit Léon l’Africain, dans son œuvre intitulée « Description de l’Afrique », parle de la région de Boulâaouane au XVe siècle comme étant une zone marécageuse à vocation agricole, riche en forêts, et si abondante en poissons que les hommes pouvaient les pêcher à l’aide de leurs vêtements! La région était en quelque sorte, comme aujourd’hui encore avec la Chaouia, le grenier du Maroc. Mieux: le site de la kasbah qui bénéficie d’un microclimat exceptionnel, à la fois continental et océanique, forme un ensemble étonnant dans la continuité de la plaine des Doukkala avec celle de la Chaouia. Et selon M. Michaux-Bellaire, «la Kasbah de Boulâaouane se distingue des autres monuments de ce genre par son dispositif de défense : l’emplacement choisi pour son édification, la présence d’un donjon, d’une poterne, d’une barbacane, d’une rampe couverte accédant au fleuve et de tours de flanquement judicieusement disposées, paraît indiquer que le plan de cette forteresse a été dressé par une personne possédant quelques notions d’architecture militaire».

La somptueuse et vieille Kasbah de Boulâaouane est en train d’agoniser même si, de l’avis de tous, le dépaysement est quasiment garanti dans cette paisible région des Doukkala. La menace est davantage persistante en raison de la négligence et de l’intervention arbitraire de l’homme, outre les facteurs naturels qui dégradent de jour en jour l’état de cette bâtisse. Le constat est affligeant. Le site continue d’être saccagé. De la mosaïque et des gravures ont été détruites ou pillées. Cette hémorragie a débuté depuis fort longtemps. Le saccage affecte les silos, les tours et même les murs. Le motif est la recherche d’une éventuelle fortune enfouie sous terre.

Et, compte tenu de l’importance de ce site, tant sur le plan historique où il constitue une référence d’une époque très importante dans l’histoire du Maroc, que par la place qu’il occupe dans le tissu des Doukkala, la réhabilitation des vestiges architecturaux de la kasbah, la restructuration des espaces intérieurs et la construction éventuelle de nouveaux équipements apparaissent utiles et nécessaires pour en faire un pôle d’accueil touristique de haut niveau. C’est vrai qu’en 1994, feu Driss Basri, ex-ministre de l’intérieur, avait annoncé qu’on était prêt à restaurer la Kasbah de Boulâaouane à condition qu’elle fasse partie de la province de Settat. Mais, comme les Doukkalis ne voulaient guère qu’on les prive de ce legs précieux, le projet de restauration est tombé à l’eau.

C’est vrai aussi qu’un plan d’action pour la sauvegarde de la Kasbah a été établi par les services provinciaux, il ya quelques années. Mais rien n’a été entrepris. N’y a-t-il pas une solution urgente à trouver pour éviter que la kasbah de Boulâaouane ne s’effondre à jamais ? Car si rien n’est fait, la kasbah risque de se transformer en une grande carrière de pierres… et un souvenir ancien. Il est à noter que ce site est classé monument historique, par dahir du 11 Mars 1924 (cf. B.O n°955 d’avril 1924). Aujourd’hui, il est temps qu’une vaste opération de réhabilitation et de préservation de cette kasbah, qui constitue un patrimoine historique à forte valeur culturelle et touristique, soit entreprise pour éviter qu’elle ne soit définitivement détruite par les aléas du temps et le fait des hommes.

Témoignage vivant

La responsabilité de la préservation de ce monument historique de la kasbah est collective et doit s’inscrire parmi les priorités du Ministère de la Culture, du Conseil de la Région Casablanca-Settat, des autorités provinciales et du Conseil Provincial d’El Jadida.Car protéger ce site est avant tout un acte de sauvegarde de notre mémoire et de tout un pan de trois siècles de l’histoire nationale. En plus, selon la Charte de Venise, adoptée par ICOMOS en 1965, les œuvres monumentales des peuples, chargées d’un message spirituel du passé,  demeurent dans la vie présente le témoignage vivant de leurs traditions séculaires. L’humanité, qui prend chaque jour conscience de l’unité des valeurs humaines, les considère comme un patrimoine commun, et, vis-à-vis des générations futures, se reconnaît solidairement responsable de leur sauvegarde. Elle se doit de les leur transmettre dans toute la richesse de leur authenticité…

Repères

-À environ 75km d’Eljadida, 60 km de Settat et 125 km de Casablanca, la majestueuse Kasbah de Boulâaouane, classée monument historique depuis 1924 et qui fait partie de la circonscription de Khémis Metouh, semble surveiller la plaine de l’Oum-Rbia depuis trois siècles.

-En 1514, à l’époque Wattasside, la région de Boulâaouane, située à la lisière des régions des Doukkala et de la Chaouia, fut le lieu de violents combats entre Marocains et Portugais. Il en découla un climat d’insécurité qui fit fuir les habitants et agriculteurs de la région. Et vers 1710, Moulay Ismaïl, en grand stratège politique, décida, à la fin de son règne, d’édifier une imposante forteresse capable de mettre fin à ce climat de terreur qui perdurait depuis deux siècles.

-En 1745, Moulay Abdallah, fils de Moulay Ismaïl, demeura une année dans la région de Doukkala, au sein de la kasbah de Boulâaouane.

-Cette région est très réputée, pour ses champs de vignes (raisins doukkalis).

– Une forêt qui sent l’eucalyptus et le pin, une végétation sauvage qui dégage, entre autres parfums, l’arôme du thym, embaument et purifient l’air ambiant dans la région.