Figure  SEQ Figure \* ARABIC 1 : Le port de Mazagan est naturellement protégé par une chaussée sous-marine orientée vers l’Est-Nord-est, longue de près de 4 kilomètres et dont l’éperon extrême s’établit à une cote de ‑ 6.30 à ‑ 9.00, tandis que les fonds immédiatement voisins sont à la cote – 15 m. Cet épi sous-marin joue un rôle important en ce qu’il abrite efficacement la rade du fait qu’il dévie la houle de sa direction générale N 20° Ouest jusqu’à la réfléchir dans une direction N-E. Même par gros temps les bateaux jouissent dans la zone de mouillage d’un calme suffisant pour permettre en tout temps les opérations de chargement et de déchargement des barcasses du Service de l’aconage.

Splendeur (XIXème siècle)

Durant la seconde moitié du XXème siècle, nous pouvons dire que Mazagan est le véritable pôle de la côte atlantique pour le transit avec l’arrière-pays. Pour cette raison, l’endroit sera régulièrement desservi par la Compagnie Paquet.[1] Ouvrant, par là même, la voie aux bateaux espagnols et aux compagnies anglaises constamment à la recherche d’un débouché pour le thé et les cotonnades. Par la suite, les compagnies allemandes se joindront à cette dynamique pour écouler, vers l’intérieur, leurs produits manufacturés. D’autres compagnies françaises, comme la Transatlantique et Mazella, optent pour la desserte de Mazagan, ainsi que de nombreux cargos italiens, portugais et norvégiens. Il se crée donc autour de Mazagan, en cette fin de siècle, un courant commercial et maritime incessant et des plus actifs, grâce à la nature, aux circonstances favorables et à la richesse de son hinterland.

Le port est un port à barcasses. Il le restera définitivement[2] et l’importance de son trafic sera toujours fonction des résultats des campagnes agricoles.

Les marchandises sont d’abord descendues dans les barcasses par les seuls moyens du bord. Puis, menées à la rame, elles gagnent une petite darse, dite darse portugaise, située au pied du mur d’enceinte de la ville, accessible uniquement aux environs de la pleine mer. Les cargaisons sont alors débarquées manuellement.

La darse portugaise est en réalité un ancien fossé des remparts portugais. À son extrémité, un plan incliné permet, encore aujourd’hui, de mettre accessoirement les petites embarcations à sec. Les autres fossés qui entourent la place fortifiée sont remblayés. Le vieux port portugais correspond à l’échancrure encore bien conservée dans la partie Est des remparts.

En 1911, le port enregistre 462 touchées, composées de 56 navires français, 160 anglais, 78 allemands, 15 espagnols et 18 de diverses nationalités ; pour une jauge brute globale 425 730 tonneaux.

Figure  SEQ Figure \* ARABIC 2 : Port de Mazagan en 1919, seule la darse portugaise est alors active. Les deux digues sont pratiquement achevées et les barcasses mouillent à leur abri ; il reste à réaliser la couverture de la passe d’entrée. Le nouveau bassin est endigué pour le construire à sec ; il en est de même pour les bassins attenants destinés à devenir des terre-pleins. On notera que les douves de la forteresse sont intactes.

Âge d’or (1929)

Le port connaît, en 1921, une activité fébrile ; la masse des échanges dépasse la barre des cent mille tonnes pour atteindre 104 000 tonnes, record absolu dans les annales du port. Après le record de 1921, la masse des échanges oscillera par la suite autour d’une moyenne de 45 000 tonnes, pour décroître inexorablement vers un état néant.[3]

En 1925, 558 navires touchent le port, jaugeant 416 000 tonneaux, pour 48 500 tonnes de marchandises. Les importations comprennent surtout le sucre et le thé, ainsi que les cotonnades, bougies, savon, bois de construction, fibres de bois, houille, pétrole, essence et même des vins pour la communauté européenne.

À l’export, avec plus de cent millions d’unités, les œufs viennent au premier rang. Les principaux destinataires sont l’Espagne, l’Angleterre et la France.

Les exportations portent également sur tout ce que produisent les Doukkala, à savoir : le maïs, le blé, l’orge, le son, les fèves, l’alpiste, les amandes, les pois chiches, les peaux de bœufs, de chèvres, de moutons ainsi que les laines en suint, le fenugrec et même les porcs, élevage des colons. La cadence de transit est de l’ordre de 800 à 1 000 tonnes de marchandises par jour avec des pointes de 1 300 tonnes. Le port dispose d’un outillage performant pour l’époque. Mais, la manutention se fait toujours à dos d’hommes.[4]

La pêche demeure embryonnaire, avec de 1925 à 1930, une moyenne annuelle de l’ordre de 60 tonnes. La première usine de conserves démarre en 1926.

L’Administration gère le port directement en régie.[5]

En 1929, Mazagan occupe le deuxième rang dans le classement des ports marocains, avec un trafic de 95 000 tonnes, assuré par 541 navires. Le site est alors considéré comme le meilleur abri de toute la côte Ouest du Maroc.

Ultime sursaut

Au début des années trente, la proximité de Casablanca et de Safi freine le développement de Mazagan. En effet, 1932, la mise en service du môle de commerce du port de Casablanca causera le ralentissement jusqu’au point mort du trafic de Mazagan. C’est la fin de l’ère des barcasses. Les navires n’auront désormais plus besoin de ces intermédiaires et débarqueront directement à quai les marchandises. Cette nouvelle donne sera fatale aux deux ports de Mazagan et Mogador qui feront l’erreur de ne pas s’adapter aux mutations en cours. Néanmoins, en 1933, le volume manipulé est encore de l’ordre de 65 000 tonnes ; quant au mouvement de navigation, il s’élève à 392 navires totalisant 510 930 tonneaux de jauge brute, dont 258 français, 24 anglais, 58 allemands et 52 de divers pays. Les compagnies françaises, Paquet, Transatlantique SAGA et Mazella fréquentent toujours le port, presque toutes, plusieurs fois par mois. Quant aux autres nationalités, citons la Bland Line anglaise, l’Oldenbourg‑Portugiesche, la Powers, l’Andrews, l’Océania (yougoslave), la Tripcovich (italienne).

En 1937, le port enregistre 107 escales et ne réalise que 20 800 tonnes de marchandises, traitées par quinze barcasses que font manœuvrer 60 raïs et barcassiers.

Figure  SEQ Figure \* ARABIC 3 :1977, vue aérienne sur le port et la ville. On notera que l’épi d’extrémité de la digue Nord a été enlevé et remplacé par un tronçon de 200 m évasé vers le large. Le port est toujours un port à barcasses. Le trafic de commerce prendra fin cette année‑là.

Un noyau industriel prend naissance d’abord autour du secteur agroalimentaire, avec la création des Moulins d’El Jadida en 1936, puis s’étend au textile en 1946, avec la création de Mazafil et de la Scim. Dans un ultime sursaut, les autorités réagissent et décident, en 1949, de restructurer globalement l’enceinte portuaire. La digue est prolongée sur 200 mètres, lui conférant l’allure évasée vers le large qu’elle présente aujourd’hui. La darse portugaise est approfondie à la côte ‑ 3 m. Un sixième magasin est construit, portant la capacité globale de stockage à 8 500 tonnes de céréales en sacs. Le blé, le maïs et l’orge sont dorénavant embarqués à l’aide de tapis roulants.

Fin d’époque

En 1959, 14 barcasses d’une charge utile unitaire de 30 à 40 tonnes transportent les marchandises à bord ou vice versa. Ces barcasses sont servies par 29 barcassiers rétribués au tonnage ; ils perçoivent, les jours « sans trafic », une indemnité de chômage. Les dockers sont embauchés selon les besoins, payés à la tâche. Leur nombre varie entre 40 et 80, selon le nombre de navires en opération. Le trafic est encore principalement constitué de grains en sacs, de primeurs et d’œufs. Trois remorqueurs et une vedette assurent le remorquage des allèges sur rade. L’assistance au pilotage est assurée par le chef de manœuvre du port. Les taxes d’aconage sont perçues par le Service des Douanes et sont fixées par Arrêté du ministre des Travaux Publics (30 janvier 1957). Ces derniers gèrent le port en régie et entretiennent les infrastructures de base.

Jusqu’en 1959, l’export enregistre des variations irrégulières allant de 1 350 à 9 000 tonnes par an, car l’activité est conditionnée par les résultats des campagnes agricoles. Par exemple, en cas de récolte déficitaire dans le Sud, une partie de la production des Doukkala est détournée sur Marrakech.

À partir de 1960, le trafic commercial disparaît, non pas tant en raison du déficit agricole devenu chronique, mais surtout parce que le port demeure un port à barcasses. De ce fait, il ne pourra pas s’adapter aux mutations maritimes, en termes de taille des navires et de moyens de manutention.

Il y a une forte interdépendance entre l’activité du port et les campagnes agricoles des Doukkala. De 1977 à 1984, le tonnage de poissons débarqués trouve son équilibre autour d’une moyenne annuelle de 7 000 tonnes. Cependant, le port trouve un certain équilibre en se consacrant également à la cueillette des algues rouges gélidium. Cette espèce d’algue est prisée pour sa richesse en gélose, ou agar-agar. Transformé, ce produit sert de gélifiant naturel, utilisé notamment pour la confection de confitures ou de cosmétiques.[6]

 

 

Un mot pour l’Avenir

Mazagan est l’une des toutes premières places installées en Afrique occidentale pour accompagner les explorateurs portugais dans leur route vers l’Inde.

Les fortifications, avec leurs bastions et remparts, constituent un exemple précoce de l’architecture militaire de la Renaissance. Aujourd’hui, la ville offre un témoignage exceptionnel des métissages entre les cultures européenne et marocaine. Ces influences croisées apparaissent clairement dans le langage courant, dans l’architecture et même dans l’urbanisme. Mais, ce patrimoine inestimable subit de graves dommages sous les coups de butoir d’un urbanisme sauvage et aussi du fait de l’ignorance de l’Histoire.

Dans un ultime élan de patriotisme citoyen, une poignée d’intellectuels vont, à travers l’Association « Forum Presse El Jadida », prendre la défense de leur ville et préserver sa mémoire de l’oubli. Leur appel sera entendu et la cause de leur cité reconnue à l’échelle de la planète, puisque, en 2004, l’Unesco identifie la valeur exceptionnelle de Mazagan pour l’Humanité.  Ainsi, par ironie du sort, ironie dont seule l’Histoire a la formule, Mazagan El Mahdouma (la citadelle détruite en 1769) vole au secours de Mazagan El Jadida. En effet, le Comité du Patrimoine Mondial examine la candidature du site de Mazagan (El Jadida) le 30 juin 2004 lors de sa 28ème session tenue à Suzhou en Chine. À cette occasion, il inscrit la forteresse et le port sur la liste du patrimoine mondial. Cet acte scelle définitivement leurs destins croisés et désigne par là même l’Unesco comme Autorité portuaire. Le port d’El Jadida, jusque-là pratiquement oublié et livré à lui-même depuis 1970, se retrouve, comme par enchantement, reconnu mondialement et engagé dans une superbe aventure où tout devient formidablement possible.

Plus précisément, l’industrie des loisirs s’imposera. Elle engendrera nécessairement un faisceau de pôles moteurs. Nous pensons notamment aux mouvements de croisière, de plaisance et une école voile. Dans le domaine des sciences de la vie, la baie de Mazagan est déjà en elle-même un laboratoire en grandeur nature. Il ne reste qu’à la structurer par l’établissement d’un institut, articulé autour d’un aquarium géant, d’un parc écologique et d’un musée dédié aux fossiles marins.

 



[1] Le destin hors du commun de Nicolas Paquet repose sur des choix fondés sur un sens aigu de l’avenir. Lorrain, bien ancré dans la tradition vigneronne de sa Meuse natale, rien ne le prédisposait à partir à la conquête de la Méditerranée. Alors qu’il s’attelait à la culture de la vigne avec son père, le jeune Nicolas, fasciné par la modernité des chemins de fer, ne rêvait qu’à obtenir un emploi sur la ligne Paris Strasbourg alors en construction. En 1852, âgé de vingt et un ans, Nicolas s’embarque pour l’Algérie pour y effectuer le commerce des grains. On n’était alors que négociant. Le terme d’armateur n’entrera au registre des métiers qu’en 1869. Il connut une traversée épouvantable qui le dégoûta à jamais de prendre la mer. De retour en France, il fonda en 1860 la Compagnie qui portera son nom. Avant tout le monde, Nicolas Paquet pressent les avantages à tirer d’une ligne régulière avec le Maroc. Ses relations privilégiées avec le sultan Moulay Hassan lui assurent un marché sans concurrent pendant plusieurs années. Il plaça le « Languedoc » sur la ligne Marseille Mogador. En 1895, la Compagnie Paquet possédait neuf bateaux, de vrais paquebots, Anatolie, Arménie, Circassie, Caramanie, Géorgie, Mingrélie, La Gaule, Meurthe, Moselle. Arménie, jaugeant 3 000 tonneaux et mesurant 90 m de long, était le plus gros et le plus rapide des navires marchands du port de Marseille. Il permit à Paquet d’éliminer tous ses concurrents sur la ligne de la mer Noire. On comptait maintenant une quarantaine de passagers pour le Maroc à chaque traversée. Ils payaient 140 francs en première classe pour se rendre à Mogador. Une place Nicolas Paquet sera, d’ailleurs, créée à Casablanca après sa mort, en 1909. Quand Nicolas Paquet mourut au mois de novembre 1909, il laissait une affaire florissante qui resta familiale jusqu’en 1970. Nicolas Paquet n’eut pas la chance de voir l’achèvement du port de Casablanca, inauguré en 1923. Lui, qui n’avait jamais voulu aller au Maroc pour ne pas prendre la mer et perdre de temps, ne connut pas le développement de la navigation de tourisme. Pour compenser la baisse des passagers l’hiver, la Compagnie eut l’idée dès 1930 d’organiser les premiers « circuits touristiques» comme le vantaient les affiches de l’époque. Elle inaugurait ainsi ses premières croisières et jouait là encore un rôle de pionnier. On commençait à découvrir le charme du voyage et le confort moderne.

[2] Ce qui le conduira à une récession inéluctable. Mais ça, c’est une autre histoire.

[3] Produits manipulés à l’importation : Sucre, thé, farine, pommes de terre, bougies, savons, huiles comestibles, cotonnades. À l’exportation : Orge, blés tendre et dur, maïs, graines de lin, alpistes, fèves, fenugrec, pois chiches, amandes, coriandre, laines, peaux, porcs et bœufs, crin végétal, conserves de poisson, chiffons et œufs.

[4]En 1926, le port de Mazagan dispose de : 1 remorqueur de 145 HP, 1 remorqueur de 60 HP ; 1 canot automobile de40 HP ; 22 barcasses de 15 à 40 tonnes ; 2 grues à vapeur roulantes de 6 tonnes ; 2 grues à vapeur de 2 tonnes, 1 grue à bras de 5 tonnes ; 1 grue à bras de 2 tonnes.

[5] En termes d’outillage, le port dispose en 1933, d’un front d’accostage de 460 m à- 1.50 et de 75 m à- 4.50 m, soit au total: 535 mètres sur lesquels sont installées : deux grues roulantes à vapeur et à voie normale de 1.5 à 3 tonnes ; deux grues roulantes à vapeur et à voie normale de 3 tonnes à 6 tonnes ; 1 grue mobile à vapeur de 3 tonnes avec portique de 11 mètres de portée ; deux grues à bras de 15 tonnes et 5 tonnes. Le matériel flottant comprend : 2 vedettes à moteur Diesel de 80 et 40 CV et 18 barcasses de 35 tonnes.

[6]Ouvert à l’international en 1995, le secteur des algues a connu une flambée de la demande. En 2013, le Maroc exporte 40% de sa récolte, le reste de la collecte est transformé la Setexam, usine installée à Kénitra depuis 1960. Cette activité qui concerne l’extraction de 1 500 tonnes d’agar‑agar à partir de 8 000 tonnes d’algues brutes, totalisant un Chiffre d’affaires de 18 millions d’euros.