Écrit par : Hadj Abdelmajid Nejdi et Elmostafa Lekhiar

 

Quand on permet de gommer le patrimoine, l’âme des Doukkala

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le legs colonial dans les Doukkala n’a jusqu’à nos jours pas été explicitement reconnu comme faisant partie du patrimoine architectural urbanistique national. Et c’est en ce sens qu’un vide juridique autorise des «roitelets» de l’administration locale à faire raser des monuments aussi significatif que Forafric pour créer une réserve foncière qui sera au profit des projets immobiliers de leurs amis, ainsi que le cinéma Marhaba détruit en catimini ou encore le plus vieux cinéma Dufour, rasé pour créer une Kissaria par exemple. De même,  l’immeuble Cohen, « foundouk El Khiyala » (local du premier haras à El Jadida, sis avenue Ibn Khaldoune), le marché central, l'ancienne municipalité (actuel 2e arrondissement urbain) et la perception El Hansali sont laissés expressément tomber en ruine.  Et c’est toujours la même chose, on n’entretient pas, cela devient délabré et après tout le monde est d’accord pour que l’on débarrasse le paysage de ces bâtiments en décrépitude.

La problématique du patrimoine est finalement partout la même, face au cynisme des pouvoirs dans les politiques de conservation et de restauration.

Et si, par exemple, dans les Pays- bas, ce sont les pouvoirs publics qui sont derrière les stratégies de conservation et de protection du patrimoine, à Moscou beaucoup de bâtiments ont étés sauvés par les oligarques, nouveaux maîtres du jeu, qui heureusement ne s’intéressent pas tous au seul football et aux casinos.

Ainsi, Moscou est un des plus important centre des mouvements architecturaux d’avant-garde des années 20 et 30.

Par contre, à El Jadida ou à Azemmour, le patrimoine architectural n’est certainement pas considéré comme un legs à être sauvé. Ainsi, le sacre de l’argent et de la propriété privé règne en maître étant donné que les lois sur le patrimoine sont quasiment inexistantes et que les gérants de la ville d'El Jadida ou d'Azemmour se contrebalancent quasiment. Un modèle qui fait rêver bien des lobbys dans la province.

À Casablanca, plus que partout ailleurs, c’est encore la société civile (Casa-mémoire) qui constitue le dernier rempart pour la sauvegarde du patrimoine architectural. Cela est d’autant plus important que l’acte de voter a bien un sens dans cette partie du Maroc.

Quant à El Jadida et Azemmour, qui, pourraient tout faire pour avoir un musée vivant de l’architecture raffinée, ont une approche très louche. Leurs gérants ( autorités et élus) ont surtout permis de gommer le patrimoine, l’âme de la ville et surtout l’ héritage architectural. Et pour justifier les destructions massives, même au sein de la Cité Portugaise ou du mellah d'Azemmour, certains magouilleurs ne cessent de répéter qu’El Jadida et Azemmour ont longtemps souffert de cette image de ville coloniale et non «authentique».

Messieurs les gérants d'El Jadida et d'Azemmour, autorités et élus, vous devez savoir que la sauvegarde du patrimoine passe obligatoirement par sa finalité socio-économique et que le secteur du tourisme constitue le vecteur principal pour le développement des villes historiques. Car, que serait le devenir d'une ville sans patrimoine ? Comment se diriger sans repères, évoluer sans histoire, bâtir sans modèles, vivre sans âme ?

Le patrimoine urbain a de multiples déclinaisons : il peut être architectural, paysager, végétal, mobilier, artistique, artisanal, industriel... Il est le témoin des hommes qui, au fil des siècles, ont bâti la cité, l'ont faite vivre, l'ont développée. Il est la marque du passé et la base du futur.

Mais si les gérants de la ville d'El Jadida ou d'Azemmour n'ont pas la culture du patrimoine, ni conscience de son importance pour faire la ville de demain, El Jadida et Azemmour seront certainement une ville sans âme.

Le patrimoine urbanistique Jdidi et Azemmouri doit être préservé, conservé, étudié et rendu accessible à tous les citoyens, comme élément de mémoire historique, et pas uniquement aux touristes et aux classes aisées.

Cependant, le touriste en visite à El Jadida et Azemmour ne pourra que constater la véhémence avec laquelle tous ses interlocuteurs vilipendent les exactions des prédateurs, et la comparera avec le silence de ses soi-disant associations  de sauvegarde du patrimoine. La défense est facile : elles n’ont pas « d’autorité ». La vérité est nettement plus subtile et nuancée : nombreux sont ceux qui, à leur modeste et peu nuisible échelle, ont su profiter des opportunités qu’offrait les lobbys. Nombreux sont ceux qui ne se sont pas sentis obligés de respecter eux-mêmes ce droit que les gérants de la ville d'El Jadida bafouaient. Nombreux sont ceux qui, en voyant « Dar Jadarmia » au sein de la Cité Portugaise, se fait raser, sont allés dérober des pièces de zellij et de bois sculpté pour les vendre au plus offrant.

Les sites du patrimoine, que se soit à El Jadida ou Azemmour, Boulaaouane, Tit ou à travers toute la province, sont précieux et devraient être préservés et valorisés pour les générations actuelles et futures. Ils sont un don des civilisations passées, ils racontent l’histoire de la région à travers les âges et sont un témoignage unique du brassage multiculturel que Doukkala a vécu au cours des millénaires. Les décisions sur le sort de ces biens ne doivent en aucune façon être accaparées par un petit groupe de prédateurs, dont la motivation principale est basée sur le gain financier.

 

Si aucune décision n'est prise par les responsables dans un futur proche pour sauvegarder le patrimoine architectural et urbanistique, les générations futures se contenteront de quelques photographies jaunies datant de la période coloniale. Qu'on se mobilise donc pour sauvegarder l’âme d’El Jadida, d'Azemmour, de Tit, de Boulaaouane et tout le Doukkala menacée de disparition, sous l'effet de la dégradation continuelle volontaire et malicieusement planifiée.