« Depuis 2013, Jorf Lasfar enregistre une croissance supérieure à celle de Casablanca »
Propos recueillis par : Ahmed Chahid
Le port de Jorf Lasfar a toujours représenté la clé de réussite de toute la province d’El Jadida et bien au-delà. Normal donc qu’on accorde un intérêt constant à son état d’avancement, à son positionnement sur l’échiquier National, tout en gardant une vigilance légitime, en relation avec les incontournables bouleversements qui trainent dans le sillage des brusques émergences des grands pôles économiques. Pour nous fixer de manière scientifique et solvable, nous avons fait appel au savoir de M. Cherfaoui Najib, expert maritime dont la notoriété dans le domaine n’est plus à démontrer, qui a eu toute l’amabilité de nous accorder l’Interview qui suit.
Question : Suite au nouveau concept territorial, inscrit sous le signe de la Régionalisation avancée, la Région Casablanca-Settat qui intègre El Jadida aussi, se retrouve dotée d’un système portuaire assez puissant, puisqu’il englobe deux géants en la matière : le port de Casablanca et celui de Jorf Lasfar. En tant qu’expert dans le domaine portuaire, quel serait l’avenir de ces deux entités ?
Réponse : On va d’abord parler de l’avenir du port de Jorf Lasfar. La localisation du port de Jorf Lasfar réalise un optimum maritime vis-à-vis des distances aux trois gisements de phosphates de Ben Guérir, Youssoufia et Khouribga. Ce qui explique qu’il soit devenu le port d’accueil et de transformation des phosphates du Nord du Maroc. Des usines d'industrie pétrochimiques sont créées par l'OCP en partenariat avec ses grands clients, d’Amérique du Nord et du Sud, d’Europe et d’Asie.
Ainsi, l'activité portuaire se concentre essentiellement d'une part sur l'importation des produits nécessaires à la fabrication des engrais, à savoir le soufre, l'ammoniac et la potasse, et d'autre part sur l'exportation des engrais proprement dits, y compris l’acide phosphorique. De plus, le Groupe OCP a mis en place une stratégie industrielle ambitieuse pour doubler la production du pôle minier et tripler la production du pôle chimique. En d’autres termes : le port de Jorf Lasfar est requalifié pour faire face au trafic correspondant.
La filière thermique se distingue par la création d’une grande centrale qui est devenu le cœur de la production nationale d’électricité. En conséquence, le port renforce sa vocation minéralière par la réception massive du charbon.
La filière métallurgique, représentée par la Sonasid (Société nationale de sidérurgie), installe un laminoir.
On retiendra en substance, que le port de Jorf Lasfar a attiré des investissements très structurants avec une forte charge industrielle au bénéfice de la région Casablanca-Settat. Ainsi, en 2015, le port de Jorf Lasfar a traité globalement près de 22,7 millions de tonnes.
Maintenant, parlons de l’avenir du port de Casablanca.
Casablanca a été, durant le XXème siècle, un port de commerce très diversifié, incluant le pétrole, les phosphates, les céréales, les agrumes, la pêche et les marchandises diverses. En ce début de XXIème siècle, Il est devenu un complexe multimodal avec l’implantation de trois terminaux à conteneurs ayant une capacité totale de trois millions de boîtes.
Le port va se doter d’un quai pour paquebots, d’une marina et d’un chantier naval. Pour ce qui est du trafic, en 2015, le port de Casablanca a traité globalement 25,3 millions de tonnes.
Question : Ces deux entités portuaires vont-t-elles se concurrencer ?
Réponse ; Comme vous pouvez donc le constater, la spécialisation des deux ports a entrainé deux destins différents et il n’y a aucune concurrence ni compétition. Sauf que Jorf Lasfar prend une importance (28% du trafic national) égale à celle de Casablanca (31%) à la fin de l’exercice 2016.
Question : Se compléter ?
Réponse : Comme je l’ai dit, les deux ports ont suivi deux chemins différents tracés par les contingences géographiques et économiques. Ils ne se complètent pas : comme le montre la nature des trafics traités, Jorf Lasfar fonctionne indépendamment de Casablanca et réciproquement.
Question : tout bonnement se partager les taches?
Réponse : Il n’y a pas de partage des tâches, ce sont les opérateurs qui décident du développement des activités. Ils ont fait pression pour obtenir l’expansion du conteneur à Casablanca. Ils ont imposé les industries chimiques et énergétiques à Jorf Lasfar
Question : Lors d’un précédent entretien, vos prévisions, chiffres et tendances à l’appui tablaient sur le fait qu’en 2016, le Port de Jorf Lasfar, aura à dépasser celui de Casablanca en matière de tonnage… Où en est-on aujourd’hui ?
Réponse : Depuis 2013, Jorf Lasfar enregistre une croissance supérieure à celle de Casablanca : soit +24,5% en 2014 et + 2,4% en 2015. Pour ces mêmes années, Casablanca a réalisé 11% et 06%. Partant de cette accélération, j’ai annoncé qu’en 2016, Jorf Lasfar dépassera Casablanca en termes de tonnage global manipulé. On verra ça en février 2017, car l’année 2016 ne fait que commencer.
Question : Jorf Lasfar, qui cumule une telle concentration d’activités portuaires, impliquant des produits à haut risque environnemental tel le souffre, le charbon, le gaz et on parle du pétrole pour bientôt, ne croyez-vous pas qu’une telle course, quoique créatrice de richesse et d’opportunités d’emplois, porte en elle aussi, son petit ou grand revers de médaille ?
Réponse : Le complexe industriel de Jorf Lasfar doit prendre soin des écosystèmes marins qui l’ont accueilli. Les usines chimiques sont en relation directe avec l’univers halieutique. Les gens de mer sont unanimes : il faut assainir les déversements. Les solutions existent. Il suffit par exemple de recycler les déchets nocifs dans le système de production. Pour fixer les idées, considérons la problématique des cendres volantes qui proviennent de la combustion du charbon dans les centrales thermiques. À Jorf Lasfar, les cendres de la centrale étaient généralement rejetées à la mer ou stockées dans des barrages de retenue. De ce fait, elles perturbent l’équilibre naturel de l’écosystème marin et ont un impact sur les nappes phréatiques. Mais, depuis 1999, la société Lafarge valorise ces cendres. Elle les utilise comme adjuvant dans le ciment ou comme matière première dans le cru, technique qui préserve donc les sols et le milieu marin. De plus, par rapport au même souci, l’extension actuelle bénéficie d’un traitement adapté des rejets liquides et d’un dispositif de désulfurisation des fumées.
Question : Ma dernière question a trait aux autres effets collatéraux qui se distinguent par certains bouleversements sociologiques, pouvant résulter de la dynamique économique pluridimensionnelle qui bouillonne au niveau de Jorf Lasfar et ses environs. Dans ce contexte, quel serait le nouveau destin d’El Jadida ? Ville dortoir ? Ville ouvrière par excellence ?
Réponse : Création récente, Jorf Lasfar (1986) est un port sans ville. On prendra soin d'éviter soigneusement l'erreur récurrente de laisser la pression urbaine asphyxier ou paralyser l’activité portuaire. Ce qui suppose une redistribution fonctionnelle des espaces autour d'El Jadida, avec en arrière-plan cette question lancinante : sera‑t‑elle centre directionnel ou simple ville dortoir pour le complexe ?
Par rapport à cette dernière question, la société civile d’El Jadida a réagi en mettant en avant la notion de territoire intelligent, englobant l’ensemble des potentialités de la ville, y compris la ressource universitaire.