Arrêtez vos complots et vos actes d'agression

à l’encontre des Doukkala

Écrit par : Hadj Abdelmajid Nejdi et Elmostafa Lekhiar

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Doukkala perd peu à peu son cachet historique, son aspect architectural, son âme et son originalité spécifique à cause d’une spoliation d’une manière exponentielle qui tend à gommer son histoire et son identité originelle. Nier l’histoire d’une région, c’est nier son histoire et l’identité de ses habitants…C’est effacer l’âme de cette région singulière. Ainsi, cette spoliation masquée sous l’étiquette de l'extension urbanistique, les segments urbains et le développement touristique et résidentiel sont effectués au détriment du souci de la protection de l’environnement naturel et la sauvegarde du patrimoine identitaire des Doukkala. C’est ce qui se trame par exemple sous nos yeux le long de la forêt d’Azemmour et au sein du Fahss Zemmouriyine.

Doukkala recèle de nombreux sites et monuments historiques qui se retrouvent malheureusement délaissés, livrés à la destruction par les effets de la nature d’une part ou par le stratagème de sociétés ou des personnes en quête de spoliation ou d’appropriation d’espace. Les lenteurs dans les procédures de classement des biens, l’inadaptation des instruments de gestion et de la réglementation par rapport à la situation patrimoniale de la région, la prolifération des constructions qui induisent un phénomène de destruction et de disparition rampante des sites historiques ou archéologiques, l'insuffisance des ressources financières, le manque d'intervention des pouvoirs publics face aux multiples agressions démontrent la faible sensibilité de l'administration dans sa vision de la ressource patrimoniale en tant que facteur potentiel de développement.

Ainsi, de nombreux sites relevant du patrimoine historique ne cessent de se dégrader ou sont carrément en voie de disparition. Que fait-on pour préserver le Ribat Lamjahdine et les constructions portugaises internes de la cité portugaise, la Kasbah d'Azemmour, l’immeuble Cohen, le site d’El Gharbia, les vestiges de Tit, la Kasbah de Boulaâouane, etc ?

Des pans importants des murailles de ces monuments se sont écroulés. Leur dégradation est d’abord due à l’état d’abandon total dans lequel ils se trouvent depuis longtemps. Ce n’est pas le fait du temps qui en est le seul responsable mais également les méfaits de l’être humain, la carence des services d’intervention dans ce domaine, le laisser-aller, l’absence de contrôle et de vigilance des services concernés et le subterfuge de sociétés ou des personnes en quête de spoliation ou d’appropriation d’espace. Des constructions ont été érigées dans les alentours dont certaines avec des pierres de ces sites en violation de la loi.

Pis encore, les dangers pèsent sur le Ribat Azemmouri des Moujahidines de plus en plus sous l’étiquette de développement urbanistique et résidentiel  et menacent de disparition de cette ville historique.

Porteurs d'une histoire riche en souvenirs et en traditions, le Ribat Azemmouri des Moujahidines  et l’espace naturel de la forêt entre Azemmour et El Jadida reflètent l'attachement fort des Azemmouris et des Jdidis à leur région.

Le Ribat Lamjahdine ou Madinate Almoujahidines (Fahss Zemmouriyine) est un site d'une importance historique capitale. Malheureusement, il est complètement délaissé, dans un état de délabrement, et Doukkala risque de perdre un autre monument historique. Car ce Ribat serait menacé de démolition et ce, pour des raisons inexpliquées. Une menace qui, si elle venait à être mise à exécution, emporterait encore une partie de l’histoire des Doukkala, car c’est c'est à partir du Ribat Lamjahdines Azemmouri (Fahss Azemmouri), Hajrate Fekkake et Tikni que le Sultan Alaouite Sidi Mohammed Ben Abdellah organisait des attaques contre les portugais de Mazagão et ce dès le début du XVIIème siècle. Dans ces campements habitaient les combattants qui harcelèrent Mazagão jusqu'à sa libération.

Erigé par le sultan alaouite Sidi Mohamed Ben Abdellah (1755-1790), le site Ribat Lamjahdines Azemmouri servait avant tout de base avancée pour mener des offensives contre les portugais installés à Azemmour et à Mazagão (El Jadida). Entre 1763 et 1768, il a connu la venue historique du Sultan et des Moujahidines, Sidi Mohammed Ben Abdellah, où il a logé lui-même et où ont vécu des Moujahidines pendant plusieurs moi entre 1768 et 1769. C’est de ce campement que partaient les colonnes de soldats, berbères, arabes et sahraouis rassemblés par le Sultan Alaouite Sidi Mohammed Ben Abdellah.

Et, en 1769, le Sultan Sidi Mohammed Ben Abdellah s'y installa pour organiser le blocus et les attaques contre les portugais de la forteresse de Mazagão. Cette tactique finie par donner ses fruits et la garnison de Mazagão n'eut plus qu'une seule issue : la Porte de la mer. Sur l'ordre donné d'évacuer la ville, les Portugais, furent contraints à quitter les lieux et la ville de Mazagão fut libérée le 11 mars 1769.

De nos jours, certains essayent de gommer l’histoire de ce Ribat Azemmouri allant même jusqu’à nier son existence. Pourtant, « Kitâb al-Istiqsa li-Akhbar Al-Maghrib duwwal al-Aqsa » (Al Istiqsa) d’Abou Al Abbas Ahmed Ibn Khalid Al Nasiri Al Salawi et «Doukkala et l'occupation Portugaise » d’Ahmed Bouchareb mentionnent  le Ribat Lamjahdine (Fahss Zemmouriyine) et Fahss Ouled Douib comme campements installés par Sidi Mohammed Ben Abdellah.

D’autre part, l’avancée progressive du développement touristique et résidentiel sur les côtes, en parallèle avec l’expansion urbanistique dans d’autres zones du littoral, représente une grave menace pour les forêts côtières, et en particulier pour les espaces verts entre Bir Jdid et El Jadida. La destruction de ces espaces suppose un dommage écologique d’énormes dimensions et d’énormes conséquences, surtout entre Azemmour et El Jadida. Elle augmente en plus la vulnérabilité, aussi bien des écosystèmes que des populations locales, aux phénomènes naturels, dans un contexte où l’on prévoit leur intensification sous l’effet du changement climatique. Et dire qu’on va abriter le COP22 !

Les Doukkalis soucieux de l'avenir de ces sites et monuments, menacés par l'invasion du béton comme tant d'autres sites historiques des villes d’El Jadida et d’Azemmour, lancent des cris de détresse pour mettre fin aux menaces de destruction et le respect des valeurs écologiques.

La forêt d’Azemmour évoque chez les Doukkalis nostalgiques les souvenirs d'une époque glorieuse où les espaces naturels et les valeurs écologiques et culturelles de l'environnement faisaient l'objet de respect de la part de tous : des gestionnaires de la ville, des investisseurs et des citoyens. Le domaine de la forêt d’Azemmour constituait avec d'autres sites naturels situés à la périphérie d’El Jadida et d’Azemmour, tout au long de la première moitié du XXe siècle, en vertu de leur qualité écologique, des espaces de repos, de ressourcement, de récréation et de loisir pour les habitants des deux villes. Ils présentent à la fois un intérêt environnemental et écologique, attesté par la présence de plusieurs espèces de plantes et d'arbres centenaires, et un intérêt patrimonial, justifié par la cité Lamjahdine et qui revêt une valeur historique et architecturale incontestables. Ils exigent qu’on respecte les valeurs naturelles de la forêt et historiques de Madinate Almoujahidines. Toutefois, on apprend ces derniers temps et avec amertume que ceux qui sont derrière cette affaire ne comptent pas baisser les bras et persistent dans leur volonté de venir à bout de cette forêt et du Ribat tout en sacrifiant plusieurs hectares d’arbres centenaires et un milieu environnemental de valeur écologique certaine pour la réalisation d'un «grand projet futur». Cessons de tout sacrifier au béton au Doukkala et essayons de sauver ce qui peut encore l'être de son héritage historique et son potentiel environnemental.

L’urbanisation massive et incontrôlée de la bande côtière, jointe à la prolifération de l’industrie hôtelière et portuaire, a provoqué entre autres choses l’érosion de la côte. Cela a gravement touché la mer. De même, la perte des forêts côtières entraîne de sérieux problèmes de pollution, des plages et de l’océan, ainsi que la destruction des sols et des sources et la détérioration des refuges de biodiversité.

Évidemment, la dégradation de ces écosystèmes a aussi des répercussions sur les moyens d’existence des populations côtières, en les appauvrissant et en rendant difficile leur maintien sur leurs territoires d’origine. Elle devient donc un facteur d’exode, en détruisant les bases matérielles sur lesquelles sont établies et se reproduisent les communautés côtières.

En droit international de l’environnement, les forêts disposent d’une considération remarquable, et cela en dépit de l’absence d’une convention-cadre internationale portant exclusivement sur le sujet. On peut citer plusieurs textes et conventions qui s’attachent à assurer l’avenir des forêts, à titre d’exemple : la Convention sur les zones humides (Ramsar – 1971), la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Washington – 1973), le Plan d’Action Forestier et Tropical (1985), la Convention sur la diversité biologique (Rio de Janeiro – 1992), l’Agenda 21 dont le chapitre 11 s’intitule modestement « lutte contre le déboisement », la Convention de lutte contre la désertification dans  les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique (1994), etc. Parallèlement à ces textes internationaux, il existe toute une série d’organisations ayant pour mission la protection des forêts : le Comité des forêts de l’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), le programme « homme et biosphère » de l’UNESCO (1970), l’Organisation Internationale des  Bois Tropicaux (1986), le Réseau International des Forêts Modèles (1992), le Forum des Nations-Unies sur les Forêts (2000), le Partenariat de Collaboration sur les Forêts (2001), la Banque Mondiale, etc.

Mais, bien que le Maroc soit membre et collaborateur avec plusieurs de ces organisations, et malgré une protection interne des forêts au niveau législatif, les forêts n’arrivent pas à résister face au processus d’urbanisation, notamment lorsqu’il s’agit des projets touristiques et résidentiels. Le Maroc est l’un des pays en développement (PED) où l’enjeu de la protection des forêts est désormais majeur. Pendant que les sols forestiers augmentent de 0,1% dans les pays développés, ils diminuent chaque année de 0,5% dans les PED.

Pourtant, les forêts assurent un rôle fondamental dans la protection de l’environnement, particulièrement le maintien de grands équilibres de l’écosystème terrestre. Elles sont par excellence les principaux réservoirs de la diversité biologique terrestre. Si on veut, par exemple, protéger cette diversité, il ne suffit pas seulement d’interdire temporairement ou définitivement la chasse de certaines espèces ; mais on doit conserver les forêts où ces espèces peuvent se nourrir et se reproduire. On peut ajouter d’autres fonctions, comme, par exemple la protection contre la désertification par la fixation des racines et l’amélioration de la qualité des nappes phréatiques. Les forêts sont également une des meilleures protections contre le réchauffement planétaire et le changement climatique, car elles absorbent les gaz créant l’effet de serre. Effectivement, la déforestation est la deuxième cause de réchauffement de la planète au niveau mondial après la consommation d’énergie.

Donc, quand on détruit les arbres, on est en train de détruire la fonction écologique et la fonction socio-économique des forêts. Nous sommes en train de détruire l’écosystème déjà fragile de Doukkala. Ce processus de dégradation a commencé depuis longtemps. L’étalement urbain incontrôlé et le "développement" touristique de la ville d’El Jadida/Azemmour ont eu comme conséquence la dégradation de la forêt qui constitue le poumon d’El Jadida/Azemmour. Pis encore, un autre projet résidentiel se fait au détriment de l’espace végétal d’El Jadida/Azemmour même s’il fait partie de leur histoire. Par conséquent, cette forêt a perdu, selon des estimations, plus de 80% de sa superficie ces dernières années. Elle est aussi en voie d’extinction à cause d’une urbanisation non structurée et risque de disparaître totalement dans les prochaines années, à cause des projets prévus dans cette zone. Actuellement, elle est totalement dévastée, et les travaux d’aménagement ont commencé depuis 2010. Ainsi, plus de 1.200 hectares de cette forêt sont en train d’être dévastés pour abriter un pôle immobilier. Les bulldozers ont depuis quelque temps causé de gros dommages dans la forêt. Forêt rasée, espèces menacées... Telle est la réalité du projet qu’on est en train d’exécuter, au nom des retombées économiques.

En fait, aucun projet touristique ou urbanistique ne peut justifier la destruction d’une forêt. Plus grave encore, lorsqu’il s’agit de la gestion du secteur environnemental, on constate un non-respect total des principes du droit de l’environnement, comme le principe de prévention qui exige de savoir quels sont les impacts nocifs du projet sur l’environnement et sur la santé avant de commencer les travaux ; le principe de précaution qui consiste à tenir compte du risque d’atteindre à l’environnement dans les décisions d’exercer ou non une activité ; ou encore le principe du pollueur payeur qui consiste dans l’une de ses manifestations pour le pollueur à remettre en état les lieux qu’il a pollués, par exemple : l’obligation de replanter dans le cas de l’abattage des arbres.

Les autorités centrales doivent agir à bon escient. Elles se trouvent aujourd’hui dans l’obligation de protéger ce qui reste du patrimoine forestier des Doukkala, bien-sûr en étroite collaboration avec les autorités locales, les élus et les  acteurs de la société civile. Le développement économique doit être conditionné à celui environnemental. Les forêts doivent faire l’objet d’une protection et d’une gestion intégrée durable. Il faut assurer un développement durable au profit des générations futures. Mais en fait, que font ces soi-disant associations de la protection du patrimoine ou de l’environnement ? Ne doivent-elles pas agir et  prendre l’initiative d’élaborer et de présenter au gouvernement un projet de protection de la forêt d’Azemmour et du Ribat Lamjahdine en tant qu’éléments de patrimoine historique, culturel et naturel de l’humanité.

Messieurs les investisseurs, l'identité et le cachet historique d'une région se reconnaissent à travers ses sites historiques, sa trame verte et bleue, son architecture, sa cuisine, ses traditions vestimentaires et ses coutumes, ainsi que les activités socioculturelles de ses habitants. Or, vos projets mettent en péril toute cette fortune inestimable.

Sachez que le domaine de l’espace vert entre Azemmour et El Jadida mérite un traitement et un devenir autre que ceux que vous êtes en train de lui préparer. Arrêtez donc cet acte d'agression qui se prépare à l'insu de tous à l'encontre de la forêt d’Azemmour, l'un des derniers espaces verts d’El Jadida et Azemmour.

En plus, il faut, dans l'évolution nécessaire, voulue par le temps, ne toucher à ces monuments historiques qu'avec infiniment de retenue et de respect, si l'on veut éviter que les cités d’El Jadida et d’Azemmour, dépouillées de tout ce qui les caractérise vraiment et leur donne une âme, ne deviennent ces villes anonymes où la vie n'est qu'apparence.