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المجموعة: Société
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Il y aurait à El Jadida plus de 200 cafés

Écrit par : M’hammed Bencherki

 

L’établissement a pris le nom de la boisson aux multiples variantes ; cassé, allongé, mousse blanche ou doré, italien, américain, tasse ou verre,…une science à part entière.

Les noms aussi, sont de véritables énigmes ; La 3e tasse, Titanic, les 4 sœurs…Ils évoquent parfois les contrées d’accueil des patrons, venus investir au pays après de longues années d’exil. Malmoe, Napoli, Antalya, ….

Aujourd’hui c’est jour de match, derby explosif, 3 écrans hors normes, commentateur au débit continu (peut-être payé au mot ?).Véritable caisse de résonnance avec ses baies vitrées, son sol carrelé, son plafond de plâtre quadrillé de haut parleurs. Orgie de décibels.

Les Madrilènes et les Catalans prennent place sur les chaises rangées, comme des tribunes. Tout le monde est expert, entraîneur et sélectionneur.

Il se forme bientôt un nouvel écran, celui de fumée, et le match démarre.

Après 10mn, un tonnerre gronde, les Catalans debout, le reporter vocifère Allah, Messi et but dans la même phrase.

Les Afficionados râlent, les Barcelonais jubilent, le serveur se frayent tant bien que mal un passage dans la cohue, cigarette par ci, café par-là, c’est le foot business.

Le scénario se répète au fil du match, but, tonnerre, cris, joie vs frustration et puis enfin c’est le coup de sifflet final.

A charge de revanche.

La salle se vide .La fumée plane.

Ceux qui restent, reprennent le cours normal de leurs occupations, plongés dans leurs téléphones.

On change de chaîne, Al Jazeera, scènes de guerres, réfugiés, et misère noire. On a un sentiment de culpabilité arabe à entretenir.

J’ai été durant ces 2 heures, sollicité par pas moins de 6 mendiants, 2 cireurs de chaussures, 3 africains chargés de babioles, ainsi que 2 ou 3 vendeurs à la sauvette ; lettres magnétiques, essuie-glace, et oreillettes de téléphone.

J’en achète une paire que j’offre à mon voisin de table qui regarde impassible une vidéo sur YouTube, de laquelle retentit en boucle un rire assourdissant.

Il est surpris avant d’accepter et de se confondre en remerciements.

On superpose aux bruits ambiants une chanson d’Oum Kalthoum, qui reprend inlassablement le refrain de ses amours perdus.

De la tablée du fond, une ado répond de temps à autres par un rire strident, aux blagues douteuses de son compagnon.

Le serveur change mon cendrier, ce qui me donne l’impression de ne pas en avoir assez grillés, je rallume et envoie la bouffée rejoindre le brouillard ambiant.

Mon café est froid, j’en redemande un autre, le même, montant et couronné d’une belle mousse blanche.

Voilà, c’est devenu au fil de mes oisivetés, ma zone de confort.

Je fais maintenant partie des lieux. Le serveur me gratifie d’un Ousted (maître) de respect, et le temps s’écoule, se perd, se dissout.

Je sors, de temps à autre de mes réflexions pour balayer la salle d’un regard curieux sur les clients. Il me plaît parfois à leur distribuer des rôles imaginaires en fonction de leur apparence.

Le fonctionnaire, un quinquagénaire, maigre et courbé, flottant dans un costume au beige douteux, la bouche flanquée d’une cigarette permanente, les yeux plissés sur une grille de mots croisés.

Derrière lui, dans sa blouse maculée de tâches noirâtres, c’est le mecano.Pas difficile à trouver, son atelier, allègrement imprégné de graisse et d’huiles mécaniques, fait face au café.

Il est plongé lui aussi dans son écran, pour une pause plus coloré que son milieu de suie.

Près du comptoir, une jeune femme, aux contours approximatifs. Les jambes croisées, dans un jean serré, un pull moulant des rondeurs généreuses. Son visage, est abondamment teinté de couleurs vives, pour masquer la fatigue des jours trop longs, et des nuits trop courtes. Elle a la posture de l’attente, impatience et stress.

Mon voisin, quant à lui est drapé dans une djellaba rayée d’où émerge une tête bien carré, le teint buriné, charpenté comme un Doukkali. De temps à autre, il répond à des appels, avec une voix de stentor, arythmique, qui couvre à elle seule toute la cacophonie de la salle.

Bientôt, le serveur range les tables vides, emboîtent les chaises les unes sur les autres .Une femme de ménage, usée par des années de corvée, passe la serpillère vigoureusement.

Il est temps de quitter les lieux. Les derniers clients dont je fais partie règlent leurs consommations, et chacun s’en retourne chez lui ou ailleurs.

Parenthèse de vie non fermée. D’un lieu d’escale, le café est devenu, jour après jour une destination. La gravité y est plus forte qu’ailleurs, elle vous maintient collé au siège, pour un voyage immobile, en attendant le prochain derby.