Le président de la Cour de comptes Driss Jettou s’est montré magnanime en ne citant pas les noms des partis marocains en situation irrégulière… Il s’est contenté d’en placer 27 dans le box des accusés : 13 ont présenté leurs comptes hors délai et 14 ne se sont même pas donnés cette peine. Pire encore, le dernier rapport de la Cour des Comptes indique que les magistrats de cet organisme ont épinglé 4.792 candidats aux législatives qui n’ont pas soumis leurs comptes de campagne ; seuls 2.328 l’ont fait, soit moins que le tiers de tous ceux qui s’étaient présentés aux élections du 25 novembre 2011, bien que la loi impose à tout candidat d’adresser sa comptabilité de campagne à la Cour. Cela signifie que ces gens-là (ceux qui se sont abstenus de soumettre leurs comptes aux regards des magistrats) se sont portés candidats, ont obtenu les subventions publiques, les ont englouties puis s’en sont allés vaquer à leurs occupations sans remettre de comptes à personne. De fait, la Cour réclame aux partis la restitution de 15 millions de DH, qui est le montant des sommes dépensées sans justificatifs… Et encore, on suppose que les candidats ayant présenté leurs comptabilités sont en règle, ce qui est invérifiable.
Ainsi donc, sur les 35 partis en activité dans ce pays, seuls 8 ont présenté leurs comptes annuels, en respectant les règles, pour l’exercice 2011. Quant aux 27 restants, ils sont tout simplement en marge de la réglementation sur les partis. Si nous avions été dans un pays qui respecte ses lois, ces formations politiques auraient été mises en garde, ou même dissoutes, car un parti qui s’avère incapable de conduire son administration et de tenir la comptabilité des quelques millions qu’il reçoit serait inapte à gérer un Etat et ses milliards de DH de l’Etat.
Il appartient donc au ministre de la Justice et des Libertés, chef du parquet ès-qualité, d’ouvrir une instruction judiciaire contre ces formations qui n’ont pas présenté leurs chiffres à la Cour des Comptes ; il doit réclamer à Driss Jettou l’ensemble des documents concernant ces partis, qu’ils soient des partis d’opposition ou appartenant à la majorité, qu’ils soient de droite, de gauche ou même du centre, si tant est que le centre existe dans ce pays.
Le rapport des partis à l’argent explique bien des choses au Maroc, et dévoile une autre face de la corruption des élites ou de ce qui en tient lieu par l’Etat qui a vu dans la multiplication de partis de pacotille une méthode intéressante pour épuiser les vraies formations qui l’empêchaient de bien tourner, ou de tourner comme il le souhaitait…. Et aujourd’hui encore, personne ne demande la dissolution de ces partis, mais ils doivent être sevrés de l’argent nourricier de l’Etat nourrissant. C’est là une occasion en or de remettre de l’ordre sur la scène partisane et de faire cesser ces enfantillages et autres comportements si préjudiciables pour la démocratie. Comment les Marocains peuvent-ils donc encore avoir des relations avec ces « officines« , ces « desperados » qui ne fonctionnent qu’en périodes électorales, ces périodes où le commerce des voix et des investitures est florissant, ces périodes après lesquelles ces partis baissent leurs rideaux, et leurs dirigeants s’éparpillent aux quatre vents pour dépenser l’argent récolté, tout en réfléchissant à de nouveaux trucs pour vendre de l’illusion à l’Etat et aux populations ?
Est-ce avec de tels partis que le Maroc pourra défendre son Sahara ? Est-ce avec ces partis que nous voulons intégrer le club des nations démocratiques ? Est-ce avec de tels partis que nous restaurerons la confiance des citoyens dans la politique et ses personnels ?
La démocratie est l’Etat des partis, et on ne peut imaginer un pays qui fonctionne d’une façon moderne, rationnelle, sans partis qui vont aux élections et s’en reviennent avec un mandat populaire les habilitant à conduire les destinées du pays et à gérer les richesses de la nation pour quatre ou cinq ans ; après cela, ces partis mandatés sont reconduits s’ils réussissent, et sont éconduits s’ils faillent. En Occident, les partis sont nés avec la démocratie et ont grandi dans son giron, et ainsi ils sont devenus puissants dans la majorité et forts dans l’opposition. Chez nous, à l’inverse, la naissance des partis a précédé l’avènement de la démocratie ; certains sont apparus lors du Protectorat et ont agi en militants au sein du mouvement national, d’autres ont émergé au temps de l’absolutisme et se sont comportés comme des associations de défense des droits civiques. Et il y a une troisième catégorie qui a vu le jour grâce à ce même absolutisme, pour ruiner l’idée même de partis.
Sans réforme des partis politiques, l’absolutisme restera la seule solution, et la démocratie restera dehors, ne pouvant entrer dans une maison où les structures politiques sont aussi douteuses.