Berrechid ne vous tendra plus la main

Maintenant que tu es entre les mains de Dieu, tu peux reposer en paix Feu M’Hammed Berrechid. Tu ne dérangeras plus leur paysage. Tu ne saliras plus leurs places. Tu ne troubleras plus leurs discussions stériles dans les terrasses de cafés. Je sais que c’est vraiment triste de mourir en étranger dans sa propre ville et c’est plus triste encore de crever dans la rue moins qu’un humain. Je n’ai rien pu t’offrir, je te dis seulement Adieu l’artiste en te dédiant à titre posthume ces quelques mots que j’ai écrits pour toi et pour le réveil la conscience  de ta ville depuis bientôt quatre ans (Lundi 27 Juin 2011). Je me passerai de tout autre commentaire.

M’hammed  Berrechid : La déchéance d’un virtuose de la musique

Difficile aussi de comprendre comment El Jadida est devenue aussi ingrate, au point de laisser crever l’un de ses fils, dans l’indignité la plus cruelle, alors qu’il aurait pu représenter la crème des produits nationaux en matière de création musicale tous instruments confondus. Oui, il est vraiment difficile d’affronter le regard chargé de toutes les supplications et misères du monde de M’hammed Berrechid, cet artiste autodidacte dont tous les pores respiraient la note musicale la plus exquise depuis la fin des années 60, pour la gloire d’El Jadida, mais qui se retrouve de nos jours dans l’anonymat le plus absolu et sous l’emprise de la maladie, de la pauvreté et surtout de la douloureuse blessure produite par l’indifférence de tous ceux qui l’ont côtoyé autrefois de très près.
Il serait injuste, voire « criminel » envers El Jadida d’effacer de sa mémoire le nom de cet élégant et très controversé M’hammed Berrechid, plus connu intimement sous des appellations périphrastiques de type « l’homme qui fait parler le luth », « l’homme qui fait pleurer le violon » ou encore, « l’homme qui fait gémir la flûte jusqu’à la plainte ».

Dès 1967, Berrechid se distingua dans l’orchestre Al Wafâa de Casablanca, sous la conduite de M. Mohamed Chili, avec lequel il participa aux éliminatoires d’un concours local lui ayant permis d’intégrer momentanément l’orchestre régional de Casablanca en tant que luthiste.
Mais l’appel d’El Jadida étant le plus fort, le jeune et fougueux artiste fut vite récupéré en 1968 par Driss Chidmi (plus connu sous le nom de Bâ Driss) qui venait de créer un grand orchestre d’El Jadida, regroupant plusieurs jeunes de la ville. Et c’est durant cette même année que Berrechid se distingua encore une fois en participant au programme « talents » (Mawahib), créé par Abdenbi El Jirari. Et c’est également grâce à lui que l’orchestre de Bâ Driss put détenir à cette époque une place très honorable.

En 1969, l’orchestre de Bâ Driss, avec Berrechid comme pièce motrice remporta la première place lors de la compétition inter villes (Sibak Al Modoune) qui eut lieu dans la Mâamora.
Au début des années 1970 et à l’instar de nombreux jeunes Marocains de l’époque, M’hammed Berrechid fut emporté par la nouvelle vague des Ghiwanistes. Et c’est une nouvelle fois le grand Casablanca qui apprécia l’inépuisable capacité du jeune Jdidi, puisque le groupe de Jil Jilala n’arrêtait pas de solliciter son ralliement. À cette même époque fut créée à El Jadida la troupe « Al Warchane » par Abdelali Demkila afin de couper court à toute défection de Berrechid.
En 1974, Berrechid retrouva son premier orchestre, devenu l’orchestre Al Mostakbal, qui n’était plus dirigé par Bâ Driss, mais par Bouchaïb Sibouaï. Cette époque représenta pour beaucoup l’âge d’or en matière d’activités musicales.
Quoique sollicité en permanence pour des spectacles privés et en dehors d’El Jadida, Berrechid continua à représenter le nerf moteur de toutes les activités de son orchestre.
Et c’est dans ce tourbillon de nuits blanches et de journées stressantes, avec tout ce que cela implique comme efforts et remontants, que se diluèrent tous les rêves d’un jeune Jdidi né pour apprivoiser les notes les plus rebelles.
Aussi n’ayons pas peur de le dire, Berrechid qui n’avait jamais su évoluer au-delà d’un entourage bien spécifique, s’était laissé emporter à la dérive jusqu’au point de se retrouver dans l’état actuel. Un laissé pour compte, un SDF dans sa propre ville, un mendiant anonyme comme on en voit dans plusieurs coins de la ville, un vieillard malade et sans le moindre soutien ni la moindre assistance, un handicapé meurtri par la douleur de sa gangrène et la froideur de tous ceux qui l’avaient applaudi hier mais qui l’ignorent aujourd’hui.

Oui, Berrechid n’avait pas su maîtriser ses élans de jeune marginal. Il avait succombé sans réserve aux tentations qui s’étaient offertes à lui. Il n’avait pas su comment négocier son espace temps. Il avait fauté, il avait raté le plus grand des avenirs…mais serait-ce pour autant une raison valable pour qu’on puisse avoir la mémoire courte et oublier ses vertus d’artiste hors pair et ses talents de musicien d’exception ?
Alors, faisons appel à notre sens d’indulgence, avant de faire parler notre devoir envers un artiste qui crève chaque jour un petit peu plus, sous le regard ingrat de ceux qui l’ont connu et sous l’air souvent indigné de ceux qui ne voient en lui qu’une anonyme épave humaine, sans passé, sans famille, sans amis et peut-être sans nom.
Alors de grâce, si M’hammed Berrechid doit un jour crever, que cela se passe au moins dans la dignité humaine, mais pas à la manière d’un chien errant. Personne ne mérite un tel châtiment… même pas un artiste qui a préféré vivre le marginal.