Sur une colline de sable sous un bois non loin d’El Jadida, un Gouverneur décida d’établir un village estival, et un Chef de cercle d’en faire le plus délicieux du royaume.
Ayant connu et de très près, ses heures les plus glorieuses, je me suis senti devant une telle déchéance, forcé de raconter une époque, qu’on finirait par croire légendaire, mais qui a bel et bien existé. Celle d’une race de serviteurs de l’État, qui certes étaient déjà en voie d’extinction, mais dont les derniers représentants, s’évertuaient à servir la patrie, avec une idée de l’État, aujourd’hui disparue. Cette histoire de Sidi Bouzid, est celle des hommes et de leurs valeurs, car ce ne sont qu’eux, qui font la différence, et rien qu’eux.
Le Sidi Bouzid de mon enfance, n’a de commun avec celui d’aujourd’hui qu’un nom, qui a perdu son éclat. Il est devenu un lieu de vulgarité et de médiocrité en tout genre, après avoir été un espace de raffinement et de paix.
Le Sidi Bouzid de nos délicieux souvenirs, qu’on évoque jusqu’à ce jour, avec nostalgie et regret, s’est éteint en 1994, l’année du dernier de mes étés, dans ce jardin d’enfance, à l’odeur des mimosas.
Chaque année vers la fin du mois de mai, tout au long des années quatre-vingt et celles du début de la décennie suivante, des familles, d’El Jadida, de Marrakech, de Rabat et d’ailleurs, se retrouvaient à Sidi Bouzid. Notre arrivée dans notre maison d’été, sur la Place de la Fontaine, annonçait l’ouverture de la saison estivale. La maison du « Raïs » ou « Haj Sdaigui », était l’épicentre du village, tout s’y décidait. Les services agissaient à son rythme, le poste de gendarmerie fermait à l’extinction de sa dernière lumière, et les techniciens du cadastre l’utilisaient comme référence.
En 1982, et après quatre années à la tête du troisième arrondissement de Kenitra, qu’il marqua par une mémorable gestion, sécuritaire et sociale, et à à peine 32 ans, un Jdidi fut nommé à la tête du Cercle d’El Jadida. Il fut un des plus jeune Chef de cercle, du royaume. Porteur d’une longue tradition familiale, au service du pays et du savoir, lui inculquant une morale et une esthétique à tout épreuve, il exerça ses prérogatives de telle manière, qu’on le cite en exemple jusqu’à aujourd’hui. Durant presque treize ans, Il commanda au sort d’un des plus importants territoires de notre pays, cercle du chef-lieu, qui allait de Haouzia jusqu’aux limites de Walidia, en passant par Sidi Bouzid, Moulay Abdellah et Jorf Lasfar. Une longévité inégalée depuis la fin du protectorat. Son nom le précédait, comme souvent à une époque, que beaucoup regrettent, aujourd’hui. Plusieurs institutions et voies de la ville, jusqu’à l’université même, sont nommées en l’honneur de personnalités de sa famille. Cela a son importance, et fait même toute la différence, entre des hommes d’État, qui servent la patrie, en ayant le souci de leurs noms, et d’autres, dont l’intérêt personnel, est la seule finalité, avec toutes les conséquences que cela engendre. Le commandement territorial, devient alors pour les premiers, un fief, où servir Dieu la Patrie et le Roi, et à travers eux les gens, est le devoir cardinal.
Aujourd’hui disparus, ces «quasi-princes », qui honoraient la fonction, autant par leur nom , que par leur morale et leurs gestes, avaient le prestige très haut, bien supérieur à celui d’un ministre de nos jours. Ils représentaient magnifiquement l’État, à la tête de leur commandement, et au-delà. Ils avaient une haute estime de leur fonction. Ils ne craignaient rien, tant qu’ils ne portaient atteinte à la sécurité de l’État. Ils traitaient d’égal à égal avec les ministres, imposaient respect et déférence, et les portes de leur maison, comme celles de leur bureau, étaient grandes ouvertes. Leurs paroles pesaient lourd, suffisaient à remédier aux problèmes les plus complexes, et à alléger les tribunaux. Ils ne toléraient aucune autre autorité que celle du Roi, et le rappelaient promptement, par l’action, en cas de tentative d’abus, de qui que ce soit. Aimés des bons et craints des méchants, porteurs de valeurs chevaleresques d’amitié, et de la parole donnée, leur prestance était telle, qu’ils réglaient à eux seuls, des problèmes sociaux que des plans gouvernementaux, peinent à résoudre de nos jours. La seule vue de leur véhicule, et de loin, suffisait à rétablir l’ordre. Tout en étant d’une accessibilité rare, ils mesuraient les qualités morales de chacun, et croyaient en une société organisée, ou certains devraient garder leur place, et d’autres leur rang, sans quoi elle s’effondrerait. Et surtout ils n’auraient jamais accepté de compromettre leur nom, en détenant des intérêts quelconques au sein de leur commandement, ni pour eux, ni pour leurs proches, qui étaient aussi importants qu’eux. Même si ce commandement, était un des plus riches du royaume, ne serait-ce que par ses carrières d’extraction. En somme, un empire de l’ordre et de la retenue.
Sidi Bouzid était alors la destination estivale la plus élégante du Royaume. Aucun village estival du pays, n’égalait sa propreté, son organisation, sa sécurité, et son esthétique. Ni ceux du nord, ni même le Sidi Rahal de feu le Ministre Basri. Chaque jour des brigades d’entretien, composées de saisonniers de la promotion nationale, et des fonctionnaires territoriaux, étaient à l’œuvre, dès 6h du matin, sur la plage, et la promenade qui la langeait. Puis elle passaient dans tout le village, jusqu’au petit bois. Encadrés par des « Kabrane » tels les frères Driss et Mbarek, qui gardaient aussi le Bungalow du Raïs, et qui ne rendaient de comptes qu’à lui, et à son chef de bureau.
A Sidi Bouzid, tout le monde se connaissait, les mêmes familles s’y retrouvaient chaque été, les Mzili, les Khatib, les Fassi-Fehri, les Chbani, les Ben Abderrazik, les Berrada, les Ghrari, les Lakhdar, les Bennouna, les Mrabet, les Boufares, les Naçiri, les Belbachir, les Msefer, les Saadi, les Bensaleh, les Benslimane, les Zemrani, les Belfdil, et d’autres. Les habitudes y étaient bien ancrées, jusqu’à l’emplacement des parasols. Une paix et une harmonie régnaient dans tout le village. Aucun débordement n’était toléré, et en cas de non-respect des règles, ce qui était extrêmement rare, la riposte était immédiate et très dissuasive. Car ce qui organisait le village et lui garantissait sa plénitude, était un ensemble de règles instaurées par le Raïs, un qualificatif qui résumait à lui seul, la force de l’état, et de son représentant.
Les journées à Sidi Bouzid se répétaient, mais n’ennuyaient point. Les jeunes et les moins jeunes, commençaient leurs journées très tôt le matin, par aller à la pêche sur les rochers, ou par jouer au football ou aux raquettes de plage. Avant le retentissement de la sirène (air raid siren) de 10 heures, depuis le bureau des Chikhs, qui annonçait l’arrêt de tous jeux de balle, ou de ballon sur la plage. Gare à qui entravait la règle ! les Moukhaznis, Mouak, Bachir, Gouchi, Marrakchi, Bouazza,… tous des vétérans de notre Sahara, que certains marrakchis, aimaient à appeler non sans humour « Achbal Sdaigui », ne faisaient pas de quartier. Les instructions du Raïs, ne pouvaient être transgressées. Peu importe la qualité ou le grade du récalcitrant, son ballon risquait de finir chez l’équipe du DHJ, ou dans un orphelinat. Nous-mêmes, ses propres enfants, étions les premiers à respecter les règles, malgré tous les égards qu’on nous exprimait.
Venait ensuite le tour des familles, de retrouver leurs emplacements habituels sur le sable, chacune installant son parasol bien reconnaissable, près du premier ou du deuxième drapeau, selon les affinités, et les bungalows. Aucun loueur de parasols ou d’emplacements à cette époque, est-ce nécessaire de le préciser.
Au même moment, tous les services étaient aux aguets, car c’était l’heure ou le Raïs, quittait sa résidence estivale, pour la tournée matinale, avant de rejoindre ses bureaux à El Jadida, dans le superbe bâtiment néo-mauresque face à la mer. C’était le siège du Cercle, devant lequel il avait ordonné, dès sa nomination, et pour plus de solennité, l’installation d’une sentinelle, armée d’un pistolet mitrailleur Beretta 38-5, portant casque blanc, épaulettes blanches, ceinturon à baudrier blanc, crispins et Guêtres blancs. Et deux piquets d’honneurs, matin et soir, que même le gouverneur n’avait pas, et qui faisaient retentir sous les ordres du brigadier, à son arrivé au cercle comme à son départ, un fougueux et impressionnant « Balkoum ». Et le moukhazni-planton Driss, qui attendait son arrivé devant les marches, de l’imposante entrée au trois arcades. Cela s’accordait parfaitement avec sa perception de l’État, qui gouverne d’abord par une forme solennelle d’apparat, et un fond moral. Toute cette tradition a disparue quelques mois après son départ du cercle en 1994.
Tous guettaient l’imposant véhicule officiel, d’un noir toujours étincelant, reconnaissable de loin, dont les jdidis se rappellent encore aujourd’hui, et que le chauffeur Smail, s’attelait à faire briller à la moindre occasion. Portant une deuxième antenne de transmission, un feu de pénétration rouge au milieu de la calandre, le bouton convertissant le klaxon en sirène (Horn 1 Ton), ainsi que la plaque noire flanqué du fameux « W » réservée jadis, aux seuls Agents d’autorité. Il ne laissait personne indifférent, de la maréchaussée, au simples badauds. Les chikhs, Haj Abdelkader à la touche de sainteté, et Haj larbi, les moukhaznis, ainsi que les adjoints techniques, du bâtiment et des espaces verts, et l’infirmier du dispensaire, se mettaient en ligne devant le poste d’administration du village, chaque matin, attendant le passage du Raïs, pour recevoir les directives quotidiennes. De même pour l’adjudant de la gendarmerie, et celui de la protection civile, chacun devant son poste. Et tous pouvaient se rendre, après les heures de travail, en cas de besoin à la résidence du Raïs, ou il avait l’habitude de s’installer sur sa terrasse, le poste de transmission à portée de main, pour l’informer et recevoir des instructions.
Tout devait fonctionner à la perfection, et pour cela, le Raïs veillait personnellement sur tout. Il en allait de son nom, et de la gravité de sa charge. Il servait l’État à tous les instants. Même nos vacances en Europe, étaient l’occasion d’observer, et de ramener des idées d’embellissement, et de bonne gestion de l’espace publique. Allant jusqu’à caresser l’idée de rendre Sidi Bouzid piéton. L’esthétique en toute chose, et en premier lieu en matière d’urbanisme, revêtait chez lui, une importance cardinale. Il gérait l’espace public, avec le même souci du détail, qu’il accordait à son espace privé, et avait comme dirait, Camillo Sitte, « ce sens artistique non conscient, sentiment naturel qui donnait des effets heureux ».
La fontaine de Sidi Bouzid, les tentes caïdales en dur de la tribune officielle, de la carrière de “Tbourida” de Mly Abdellah, dont il avait décidé la construction pour économiser sur le rachat, quasi-annuel de nouvelles tentes. ne sont que des exemples parmi d’autres, de son souci de l’esthétique et des deniers publics. L’exécution de ces projets, comme d’autres, étaient confiée, à feu l’architecte Jawad Benjelloun, détenteur d’un grand talent, et qui avait toute la confiance du Raïs. Tous cela, avec des ressources bien réduites, sans commune mesure avec celles d’aujourd’hui. Elles se limitaient à des revenus essentiellement saisonniers, comme ceux du Théâtre, du Requin bleu, ou des douches de la plage, aménagées pour accueillir deux cafés sur leur toit, exigence du ministère de l’intérieur, pour l’octroi d’une aide à leur rénovation. Preuve supplémentaire si l’en est, que ce n’est pas une question de moyens, mais d’hommes.
Le soleil à son zénith, la douce odeur des mimosas se mélangeait à celle des ambres solaires. Les quelques vendeurs de beignets et de glaces autorisés à descendre sur la grève, devaient répondre à un cahier des charges des plus rigoureux. Ils devaient respecter des règles vestimentaires strictes -blouse blanche obligatoire- et participer au ramassage de leurs propres détritus. Pour cela ils avaient l’obligation de marquer leurs papiers d’emballages, de leurs noms. Et chaque vendeur devait porter le badge délivré par l’autorité, qu’il risquait de perdre au moindre manquement aux règles.
A la plage, pas de jeux de balles entre 10h et 18h, pas d’animaux, ni de musique. Le règlement était affiché à chaque descente, et les mokhaznis auxquels, le Raïs fournissait des baskets, bien plus adaptés à leur mission estivale, que les rangers règlementaires, faisaient des aller-retours toute la journée sur le sable. Comme les pompiers sur leur fameux semi-rigide, aujourd’hui disparu, entre les deux extrémités de la baie.
Sur la promenade, tenue correcte exigée. Hormis les enfants, il était totalement interdit de quitter la plage en vêtements de bain, quelque soient l’âge ou le sexe. Certains estivants qui avaient tenté l’expérience, avaient vite abandonné l’idée de la reproduire. Aucun vendeur ambulant ne devait s’approcher du village, sous peine de se voir confisquer sa marchandise, et son matériel, y compris sa monture. Et en cas de récidive, un moment au poste, lui faisait passer l’envie de recommencer. Aussi, interdiction totale de mettre un pied dans les nombreux points de verdure que comptait le village, et qui ont tous disparus aujourd’hui.
Toujours dans le souci de préserver la quiétude du village, le Raïs s’était toujours fermement opposé à l’établissement d’une ligne de bus, reliant El Jadida à Sidi Bouzid. Face à des interventions multiples, et insistantes de la hiérarchie, il l’arrêta hors du village, près du cimetière Sidi Mohammed Chalh. Quant aux taxis, ils n’étaient pas autorisés à traverser le village. Dans le même esprit, il s’était vigoureusement opposé, au plan d’annexion de Sidi Bouzid par El Jadida, planifiée sous la présidence de feu Taher Masmodi, son grand ami, contre qui, il emporta la bataille.
A l’heure du déjeuner, les estivants abandonnaient leurs parasols, qui restaient sans surveillance, dans un geste des plus naturels. Deux à trois fois par jour, le Khlifa Chef du bureau et bras droit du Rais, faisait ses tournées, des plus redoutées. Le passage de sa Renault 9 noire, en faisait trembler plus d’un. Employés communaux, saisonniers, agents des services administratifs, tous jetaient leurs cigarettes et annonçaient le branle-bas de combat.
A 18h, la sirène retentissait une deuxième fois, annonçant la fin de la baignade, et des restrictions balnéaires. La fontaine en marbre scintillant, édifiée par le Raïs à la place, des anciens bassins, ouvrait par ses jeux d’eau, et de lumières, ondulant sur les rythmes de l’Ala, un superbe ballet d’une jeunesse impeccable, paradant sur la corniche, attendant l’ouverture du « théâtre ». Un amphithéâtre de style gréco-romain, aussi ancien que le village, dans lequel des animations, étaient organisées durant toute la saison. Attraction phare de la jeunesse « bouzidiste », aujourd’hui délaissé, comme ladite fontaine, depuis quasiment, la fin de l’été 1994.
A minuit tapante, heure à laquelle le théâtre redevenait silencieux, un autre ballet s’ouvrait. Celui des mariés jdidis, qui venaient faire le tour de la fontaine, que le Raïs ordonnait qu’on laisse en marche, les nuits de fins de semaines, après minuit, à cet effet. Féerique spectacle auquel nous avions droit presque tous les soirs d’été, particulièrement les nuits de fin de semaine, ou plusieurs mariés pouvaient se croiser. Coutume malheureusement disparue, vu l’état actuel de la fontaine, ou ce qui en reste. Un état qui raconte à lui seul, toute la déchéance de Sidi Bouzid.
L’ordre régnait de partout. Le côté sécuritaire a toujours été la priorité du Raïs, là ou il est passé, en tenant la situation d’une main de fer. Moukhaznis, gendarmes, pompiers, tous participaient avec abnégation à la préservation de la vie du village, et de sa quiétude. Le Raïs lui-même, certains soirs, muni de son MAB 7,65 de fonction, accompagné de feu le Capitaine Hamdaoui, future inspecteur général de la gendarmerie royale, et homme à l’intégrité sans faille, faisait des rondes, pour s’assurer de la situation. Il batailla aussi longuement pour installer au village, une brigade permanente de gendarmerie, dans les locaux qu’il avait fait construire à cet effet, en même temps que la poste, et qui existe toujours. Il aimait aussi, à répéter non sans fierté, qu’a son arrivée à la tête du Cercle, le village comptait deux restaurants à débit de boissons, et qu’a son départ presque treize ans après, il n’en resté qu’un, l’autre l’ayant fermé, pour édifier la mosquée de Sidi Bouzid.
Que s’est-il donc passé? Pourquoi ce délicieux village estival, s’est-il transformé en une arrière-cour de tous les vices ? Pourquoi le nombre de bars et de chichas, par habitant y pulvérise tous les records? Que peut justifier la destruction du grand rond-point verdoyant, aussi vieux que le village, et son remplacement par l’hideux élargissement de trottoir actuel, ou des vendeurs à la sauvette, et d’escargot bouillis, avec leurs chaises en plastique de toutes les couleurs, et leurs musiques “moussem”, ont trouvé refuge? Comment a-t-on osé porter atteinte au coin jardin, qui accueillait en son centre, la fameuse stèle commémorative, érigée par le Raïs, à l’occasion de l’inauguration de la grande mosquée Hassan II, si familière aux « bouzidistes », pour laisser place à un café de plus? Comment a-t-on osé mutiler le petit bois, vestige de ce que fut Sidi Bouzid, avant sa fondation, et ou on a tous joué enfant, en y autorisant un sois-disant parc d’attraction, qui n’a jamais ouvert? Pourquoi cette chasse au moindre espace vert, à Sidi Bouzid, qui plus est proche de Jorf Lasfar? Comment un restaurant a-t-il pu prendre place d’un parking, alors qu’il y a de grands problèmes de stationnement l’été? Pourquoi ce bijou d’architecture qu’est la fontaine de Sidi bouzid, unique au Maroc par son style, comme par son emplacement, véritable place de village, qui l’enchantait jadis, est-il tombé dans un tel état de délabrement, où plus un son de musique, ni un jet d’eau, n’y ont jailli depuis 1994. Alors que l’entretient de son mécanisme coûtait la modique somme de 600 dirhams par an? Pourquoi le douaar Al Bahara, un charmant hameau en pierres sèches, s’est-il transformé en une zone de construction illégale, alors qu’il fallait un acte de mariage pour pouvoir rajouter une pièce? Pourquoi le village aux charmants bungalows, à l’architecture balnéaire si typique, encore palpable, aux première et deuxième tranches, comme au COS de l’ONE, s’est-il retrouver flanqué de banales constructions, semblables à celle des périphéries urbaines de notre pays? Pourquoi le projet du port de plaisance, prévu par le Raïs en contrebas de la 5ème tranche, et dont il avait obtenu le financement à 80%, par le ministère des travaux publics, dont il avait l’écoute des responsables, a-t-il été abandonné après son départ? qu’est ce qui peut mener à une situation aussi incompréhensible?
La réponse est intrinsèquement liée aux Hommes. Un serviteur de l’État doit être porteur avant toutes choses, de valeurs, morales et esthétiques, qui émanent essentiellement de longues traditions familiales. Mais même dans un monde gâché par une propagande égalitariste, et droit-de-l’hommiste dégénérée, il est possible de remédier en partie, à la carence de ces valeurs, par une éducation de qualité. En l’occurrence, par la fondation d’un grand institut d’administration publique, à même d’inculquer une tradition, voir une philosophie de gouvernance. Une école supérieure à la sélection drastique, à l’entrée comme à la sortie, seule garante de l’excellence. Une sélection basée avant tout, sur les valeurs morales et familiales des candidats, et qui mène à un enseignement, où le respect de la tradition, l’histoire de nos institutions, et le sens du patriotisme qui oblige à servir l’intérêt général, occupe une bonne partie de la formation. L’initiation à la chose publique doit être générale, sans spécialisation. L’école doit pouvoir doter tous les corps d’État, du corps caïdal, au corps diplomatique, en passant par les différents cabinets ministériels, et les grandes institutions et entreprises étatiques. La sélection à l’entrée, devrait donc passer aussi par des enquêtes de moralités croisées, suivies d’un grand oral. Un vrai mandarinat, qui seul est susceptible de doter notre pays de hauts fonctionnaires, issus de différentes origines sociales, dignes de servir la patrie. La formation paramilitaire qui transmet le sens de la discipline, pouvant se limiter au fin de parcours, et à l’extérieure de l’école. La chose publique est l’affaire d’administrateurs et de politiques, elle n’est ni celle d’ingénieurs, ni encore moins d’entrepreneurs.
La promotion de grade, devrait elle aussi être limitée et liée, aux capacités de la personne, et non à son ancienneté. Il faut préserver au grade, sa portée symbolique, de reconnaissance de qualités morales et exceptionnelles, à commander et à diriger, et ne pas le réduire à un simple avancement pécuniaire mesurant le temps. L’échelle administrative de rémunération, suffit à cela. Aussi la simplification des organigrammes et des appellations.
Cela est encore plus nécessaire dans le cas des Agents d’autorités. Car en plus de leur rôle de représentants de l’État, et d’exécutants de sa politique, ils incarnent sa souveraineté dans ses provinces. Ces représentants, d’une de nos plus vielles institutions, ne sont-ils pas les seuls à qui le chambellan s’dresse, lors de la cérémonie, ô combien solennelle et grave, d’allégeance à notre souverain?
La décadence de Sidi Bouzid, est aussi un exemple probant, des suites de l’expérience de la « démocratie locale » dans notre pays. La loi de 1976 qui porte la marque de la gauche, est la première responsable de cette situation, qui est celle de la qualité de vie actuelle, dans nos villes et nos campagnes. Car une loi aussi pertinente soit-elle, ne peut grand-chose face à l’immoralité des hommes. Les demandes de candidature, de ceux désireux, se mettre aux commandes de la gestion locale, devraient être soumises, à un contrôle en amont, d’une commission de moralité. L’agrément à se présenter, ne doit être délivré qu’aux aspirants candidats, ayant démontré de solides vertus, indépendamment, de leurs titres académiques. Et rendre de jure inéligible tout condamné, pour des faits touchant à la probité. Il faudrait aussi réduire les prérogatives des communes. L’État via ses représentants, doit avoir un pouvoir d’action et de sanction directe, en cas de défaillance des élus, qui sont essentiellement des intermédiaires entre les habitant et l’État, représenté par ses agents d’autorité. La tutelle doit être réelle, pour une plus grande efficience, dans les prises de décisions. La « démocratie locale » doit se limiter au niveau communal, et provinciale. La coordination au niveau régional, doit être l’apanage de l’Etat, et lui seul, et doit avoir pour seule prérogative une meilleure intégration économique de la région. Il en va de la souveraineté.
J’ai connu une époque, où aucun des 5 présidents de communes, ne pouvait prendre la moindre décision sans l’aval du Raïs, ou de ses subordonnés, et ou le plus petit employé communal, savait que son patron était l’Agent d’autorité, représentant de l’État, à qui il devait s’adresser, même pour une simple journée de congé. Une époque où ces mêmes présidents de communes, avaient la pudeur, de rouler en 4L, et non comme de nos jours, en des voitures de service, aux luxe insolent, que rien ne peut justifier, si ce n’est un profond mépris des électeurs. Certains allant jusqu’à s’accaparer, les anciens symboles de l’autorité, tels le fameux « W », au lieu de leur « J » règlementaire, en plaque minéralogique, qui se partagent avec les forces spéciales, alors même, que les représentants de l’État, circulent actuellement, avec de simple plaques étatiques, sans aucun signe distinctif. Sans parlé des autres dysfonctionnements, de tout genre. Une époque que tous les chantres de la « démocratie et des droits de l’homme » de jadis, regrettent.
Figure paternaliste, pour ses subordonnés et administrés, homme d’autorité et de culture, œuvrant pour le bien de tous. 30ans après, tous ceux qui ont connu l’époque du Raïs, ont toujours une histoire à raconter, avec une nostalgie certaine. Jusqu’à dans les réseaux sociaux, encore plus à l’annonce de son décès, il y a un peu plus d’un an. De sa grande bravoure, de sa générosité, de sa poigne et son intelligence dans la gestion des affaires publiques, de son accessibilité aux gens, et sa volonté chevillée au corps de les servir et servir le bien commun, de ses recommandations pour embauche, auxquelles aucun organisme ne pouvait, ne pas donner satisfaction, de Dragados à l’OCP en passant par la Radeej et les différentes administrations publiques, de son élégance, et du prestige qu’il donnait à la fonction.
30 ans après, la belle époque de Sidi bouzid reste lié à son nom. Il n’a jamais dit « cela n’est pas de ma compétence ». Il veillait personnellement au bon déroulement des chantiers. Il était convaincu à juste titre, que l’agent d’autorité, est un haut fonctionnaire à la compétence générale. Il est le représentant de l’État, donc responsable de tout, et tous les services doivent lui rendre compte. Il supervisait tout, et ne déléguait presque rien à ses caïds. On se rappelle de lui, interviewé par la Télévision marocains, en février 1986, sur le pont du navir « Nemos », qui venait d’échouer sur la plage de Haouzuia, ou il supervisait les opérations des différents services. Il mettait un point d’honneur à protéger le faible contre le puissant, l’ancien contre le parvenu. Capable de mettre protocolairement, au même niveau, un ministre et son concurrent aux élections, et de démolir sans délai, la construction illégale d’un député, qui a cru pouvoir se passer d’une demande d’autorisation. N’usant de fermeté et de force que lorsqu’il le faut, son souci du bien des gens, allait jusqu’à refuser d’exécuter des décisions de justice, quand il les considérait injustes. Jamais une expulsion collective, ne s’est faite en son temps, sans compensations, alors même que le jugement ne les prévoyait pas. Et la journée de « Chikaya » au Cercle, le mardi en disait long, par le nombre des gens, qui préféraient la décision du Raïs, au jugement d’un tribunal. Il était en partie, comme décrivait Bismarck son ancienne fonction « Le sous-préfet seul était estimé, c’est un administrateur ayant des fonctions double face, regardant d’un côté vert les bureaux, et de l’autre vers la population ».
L’émotion et la réaction des jdidis, des doukkalis, et de tous ceux qui l’ont connue, à l’annonce de son décès, ne peut être oublié, c’était toute une leçon de vie. Les chaleureux témoignages de reconnaissances, était des plus touchants, et de tout le pays. Les allocutions durant l’hommage qui lui a été consacré par le Haut-commissariat à la résistance, à l’ancien siège du Cercle, y compris par d’anciens opposants de gauche, montraient, un homme d’État d’exception, qui consacra toute sa vie à la sécurité et la stabilité de la patrie, en une de ses périodes les plus délicates. Et surtout qu’il marqua les esprits, même 30 ans après avoir quitté ses fonctions, à l’âge de 45 ans. Malgré son jeune âge, il ne s’adonna à aucun commerce, et œuvra jusqu’à la fin de ses jours, à la préservation de l’histoire de sa région, et de son pays, qu’il aimait tant. Consacrant toute sa vie à l’intérêt général, il paraissait être né pour le servir.
Les époques ne sont que les reflets des hommes, et ces derniers ne sont faits que de valeurs. La prise de décision, nécessite une tradition avant tout, les diplômes sont essentiels pour exécuter, ils n’ont jamais fait à eux seuls, un homme d’État. Nous avons besoin pour la patrie et les gens, de serviteurs qui aiment le pouvoir et leurs noms, et non le pouvoir et leurs intérêts. Il n’y a pire ennemie de la chose publique, que le responsable, qui ne ce souci guère de son nom. Un serviteur de l‘État ne doit certes manquer de rien, mais ne doit jamais chercher fortune. Sa vocation première doit être, de servir.
Il faut aussi rendre à l’autorité ses lauriers, loin de toutes littérature égalitariste nauséabonde, qui nous a menait à une crises d’autorité, à tous les niveaux de la société. Une autorité sans laquelle rien de bon ne peut être fait. L’apparence de puissance est essentielle pour gouverner. L’ordre et l’équité sont primordiaux, pour le bon développement. Le respect est général et indivisible, il est dû autant aux parents, aux enseignants, qu’aux gouvernants, qui de leur côté doivent être un exemple de probité. J’ai pu mesurer près de mon père, et depuis mon plus jeune age, à quel point l’État tire sa force, de la morale et de l’histoire, de ses serviteurs, bien plus que des lois, des plans, ou de la contrainte.
On est passé de Sidi Bouzid, à Bouzid, et l’odeur des mimosas a disparu, comme les « bouzidistes », qui ont fini par migrer vers le nord. C’est le résultat de la médiocrité, dangereusement offerte, sous couvert d’utilité, et de la présentation de la beauté comme superflu. Alors que conscient de son importance pour l’humain, et son développement, la recherche dans le domaine de l’esthétique, dans les pays dit « développés », n’a jamais cessé, et en toute chose, surtout en urbanisme. Jusqu’à la création d’un nouveau champs d’étude baptisé, la « Neuroarchitecture ». Nous ne renaitrons, que par la morale de nos décideurs, et la beauté de nos villes, et campagnes.
Moulay Ahmed SDAIKI
Président de la Fondation Chouaib Sdaiki Doukkali