Dans la région des Doukkala, surtout, dans Ouled Bouâziz, Ouled Hamdane, Ouled Salem et Châïbates, les Tazotas sont accompagnées systématiquement de la construction de murets ou enclos en pierres appelés dans les Doukkala «Stara». Ces murets sont destinés avant tout à servir le fellah de limite de sa «hata» (habitation et son champ environnant). On trouve aussi des «zriba» et des « toufris » qui servent de bergeries. La surface enclose peut varier de 100 m2 à 200 m2 environ. On y trouve parfois un petit potager où poussent quelques légumes ou fruits, (Bhira), un silo souterrain pour grain (Matmoura), de la volaille ou du bétail, des arbres fruitiers (figuiers, cognassiers, vignes …), ces enclos sont liés au douar. Certaines Tazotas servaient, au début, d’entrepôts pour la paille de blé et d’orge, pour les tiges de maïs ou pour le foin. Elles servaient également de refuges temporaires contre la chaleur pour les hommes et les animaux, et de lieux d’engraissement pour les jeunes bovins.
Ces Tazotas ont des ressemblances morphologiques avec certaines cabanes en pierre sèche à degré du pourtour méditerranéen et plus particulièrement avec le sud de la France, la Grèce, l’Italie, Malte, l’Irlande, la Palestine, la Slovénie, la Suisse, …
D’après l’enseignant chercheur Saïd Kamel, auteur d’un article sur «les significations des toponymes de la région Fès-Boulemane», «Tazota ou Tazôdâ» veut dire plateau. Le dictionnaire amazigh de l’ex-délégué provincial du MEN à El Jadida, M. Haddachi, estime que Tazudea signifie bol, écuelle renversée et par extension construction mégalithique dans la région des Doukkala. En effet, les cabanes ont une forme qui peut rappeler un bol renversé. Pour d’autres,
«Tazouta » viendrait de l’amazigh « azou » c’est-à-dire métier à tisser. La température quasi constante à l’intérieur des Tazotas aurait pu être des lieux adéquats pour pratiquer le tissage. ». Une origine portugaise est à envisager. En effet, il aurait pour origine casita, cassene c’est à-dire une petite maison. Sans oublier que tazota en espagnol, c’est une tasse. Les Tazotas font aussi penser aux mastabas égyptiens, prémisse des pyramides à degré.
Les Tazotas sont construites avec de la pierre plate, brute extraite de l’épierrement des champs, sans mortier. Les Tazotas ont deux types de forme architecturale, sphériques, et trapézoïdales, elles comportent latéralement un ou deux escaliers pour monter sur le rebord du tronc de cône inférieur, et un seul pour monter au sommet du tronc de cône supérieur.
Elles ont également de 2,5 à 3 mètres de hauteur, l’épaisseur du mur est d’un mètre, alors que l’épaisseur du mur avec linteau est de 1,5 mètre.
Et comme le climat n’était pas rigoureux dans les Doukkala, les Tazotas ont la prétention d’isoler aussi bien la chaleur que du froid, sur la paroi très peu inclinée , la pluie glisse facilement et c’est la raison pour laquelle elles ont certainement été érigées. Concernant l’orientation, l’unique ouverture est la porte et se trouve toujours du côté de l’est (le soleil y pénètre de bonne heure).
La porte est toujours petite, c’est en général un rectangle dont la hauteur va de 75 cm à 1 mètre, et la largeur de 60 cm à 80 cm.
Les Tazotas comportent, latéralement, un ou deux escaliers pour monter sur le rebord du tronc-de-cône inférieur et un seul pour monter au sommet du tronc-de-cône supérieur. Parfois, l’escalier se trouve entre deux Tazotas jumelées. Ces escaliers facilitent l’ascension et le travail lors de l’étape de l’édification. Puis l’accès à la terrasse pour faire sécher des produits agricoles (à l’abri de la poussière du sol et en profitant de l’ensoleillement et des pierres surchauffées). Ils servaient aussi au remplissage de l’intérieur. En effet, après avoir rempli de paille ou de foin la pièce, on en bouchait l’entrée avec des pierres et l’on poursuivait le remplissage par la lucarne du niveau supérieur. La terrasse permettait aussi de surveiller les alentours. Le sommet des Tazotas est légèrement arrondi. Car recouvert d’une couche de gravier et d’une couche de terre en guise de protection contre les infiltrations d’eau. Dans certaines Tazotas, la pierre qui coiffe la voûte peut être basculée pour permettre l’aération. Les Tazotas ont, en général, une hauteur de 2,5 à 3 mètres. Mais il en existe de plus hautes.
La base est constituée de moellons pouvant supporter une charge de plusieurs tonnes. Les plus belles pierres sont utilisées pour le tour des ouvertures, les chaînages d’angle et pour les marches d’escalier. Dans la partie supérieure, le poids des moellons est celui qu’un homme peut porter en gravissant les marches extérieures. L’entrée, d’élévation trapézoïdale, est étroite (environ 70 sur 160 cm). Le linteau et les arrière-linteaux sont constitués de grands blocs placés côte à côte. Un couloir mesurant au maximum 2 m de longueur, permet d’accéder à l’intérieur tout en empêchant la chaleur d’entrer. L’orientation de l’entrée semble dépendre de la position de la Tazota. La paroi intérieure s’incurve légèrement au fur et à mesure qu’elle monte pour former, à partir du deuxième degré, une voûte d’encorbellement au sommet fermé par une dalle taillée. Dans cette voûte, les pierres de chaque assise ont une inclinaison vers l’extérieur qui permet d’évacuer les infiltrations d’eau de pluie. Ces pierres sont plates, il n’y a aucune trace de coups de ciseau ou de massette. Les Tazotas n’ont pour ainsi dire pas de niches murales. La plupart des rares niches observées ont été faites postérieurement à l’édification, par l’extraction de pierres de la paroi. Le sol intérieur est brut, sans dallage, en terre battue, et parfois le rocher y affleure. On peut estimer qu’une tazota courante représente un volume de 100 m, soit l’épierrage d’un champ de 250 m, et une masse de 300 tonnes. Compte tenu des différentes manipulations des moellons, deux personnes déplaçaient donc 10000 kg de pierres par jour, pendant trois mois.
Certaines Tazotas se dressent à l’écart du logis, tandis que d’autres sont accolées au bâtiment principal. Il existe, en outre, des Tazotas isolées dans la campagne. Et on trouve souvent deux Tazotas jumelées.
Les Tazotas semblent remonter à l’origine aux temps des Phéniciens. Si Lhoucine, le meilleur mâalem des Tazotas (spécialiste en pierre sèche), qui est décédé à l’âge de 95 ans, a appris, lui et son père, le métier de son grand-père. Mais, en l’absence de datation des Tazotas sur un linteau ou une pierre, de recherches archéologiques, les hypothèses, sur leur origine, foisonnent, comme pour l’origine des mots. Certains, les font remonter à l’époque Antique lors des premières sédentarisations des peuples. Ils attribuent ces constructions soit aux Romains, cependant le limes de l’Empire Romain se situe beaucoup plus haut, soit aux Berbères à l’époque Romaine, soit à des peuples venus de la Méditerranée (Phéniciens…). Cette dernière idée est avancée par M. Jean-Marie Lemaire, chercheur au CNRS. D’après, ses recherches les Tazotas ressemblent fortement aux thôlos mycéniens.
D’autres les situent au Moyen Âge ou à l’époque de la présence portugaise dans les Doukkala. En effet, il y a une similitude avec des constructions en Sicile par exemple. Quel est le point commun entre la Sicile et les Doukkala ? La présence portugaise.
Or, certaines personnes réduisent les Tazotas à de banales constructions de pierres sèches, dont la date d’édification ne pourrait remonter dans le temps, au-delà des années 1915-1920, sous prétexte qu’ils n’ont pas été cités dans les carnets de certains voyageurs Français, ayant sillonnés l’arrière pays des Doukkala au début des années du protectorat. Comment pourrait-on soutenir une thèse aussi simpliste, et se targuer ainsi d’avoir fait la découverte du siècle, alors que les plus grands chercheurs spécialistes du domaine planchent encore sur les origines énigmatiques de ces ouvrages en pierres sèches, et qu’en France, en Italie et en Grèce, certains les qualifient de monuments préhistoriques ? Quel intérêt pourrait-on avoir, à dévaluer un patrimoine historique et architectural des Doukkala, en l’occurrence les Tazotas ? Pourquoi ne pas inscrire ce savoir-faire dans l’inventaire du Patrimoine culturel immatériel comme l’a inscrit le Ministère de la Culture français, depuis 2010 ?
De toute façon, les Tazotas ont une valeur inestimable qui puise toute sa force et toute sa substance vitale, au Maroc, comme en Europe d’ailleurs, du fait des lointaines origines et de l’énigme qui entoure ces monuments exceptionnels ainsi que leurs véritables bâtisseurs.
Et, dans le souci de préserver ces monuments historiques considérés depuis longtemps comme l’un des exemples uniques au Maroc, et de contribuer de façon effective à la promotion et au développement du tourisme culturel dans la région des Doukkala, il est temps de prendre en charge les vestiges dont elle dispose. En effet, Doukkala est connue par sa diversité de son patrimoine architectural et ses biens culturels. De nombreux sites comme Ghar Khenzira (grotte préhistorique), à Tit, les tombeaux phéniciens de Moulay Abdallah, Lamjahdine, douar Tecni, Bettioua, Guerrando, Kasbah de Boulâouane, Madinat Gharbia, et des sites, comme Mouchtaraya, Azemmour et Mazagão.