En abordant ce sujet dont les filigranes relèvent beaucoup plus de l’irresponsabilité ravageuse que de la politique dans son sens noble, je ne sais pas pourquoi une vieille anecdote, bien de chez nous, a accaparé mon esprit avec entêtement au point de m’obliger à la partager avec vous.
Cela se passait en 1942. Les deux paysans Doukkalis qui bravaient stoïquement le cours du temps et les ardeurs d’un soleil tapant, étaient adossés en toute aise à un muret de pierres sèches tout en contemplant dans l’indifférence le débarquement des troupes des alliés et leurs engins de mort sur cette plage de la région.
À la longue, ce remue ménage incessant a fini par intriguer l’un des hommes qui demanda son compagnon « Mais pourquoi ces étrangers n’arrêtent-ils pas de s’entretuer en faisant la guerre ? »
Ce dernier, l’air plus savant lui rétorqua avec emphase « Ignorant que tu es ! Ne comprends-tu pas qu’ils se massacrent pour nous ? »
Incrédule, le pauvre paysan jeta un regard dubitatif à ses pieds nus aux orteils cabossés, scruta longuement la série d’arabesques surréalistes que la crasse a dessiné sur les longues et maigres jambes, se gratta énergiquement sous les aisselles avant de murmurer « C’est sûr ce que tu dis là…sommes- nous si précieux pour que tous ces hommes se battent rien que pour nous ? ».
Autre temps, autre contexte, même amalgame. Aujourd’hui et suite à tous ces tirs croisés qui amusent les gestionnaires de la chose communale de la ville d’El Jadida, le citoyen est légitimement en droit de s’interroger sur le pourquoi de ces guéguerres claires et obscures, en se posant la même question que ce pauvre et crédule paysan « Sommes-nous si précieux pour que nos conseillers se battent rien que pour notre bien- être ? »
La réponse à cette interrogation, nous la laissons aux citoyens. Toutefois, il ne faut pas être sorcier pour comprendre que les regards de nos supposés défenseurs sont braqués ailleurs et que tous ces shows de piètre qualité n’intéressent même plus les enfants des quartiers du coin.
Est-il encore temps pour rappeler à nos représentants que les grandes portes de la démocratie, ouvertes par la volonté des plus hautes instances de l’état, n’admettent plus qu’on les franchisse avec fracas ou dans la clandestinité, uniquement pour s’assurer une bonne place au soleil, en dégustant avec le plus exquis des délices le nectar des « vainqueurs » .
Nos gestionnaires sont-t-ils conscients qu’ils sont aujourd’hui au centre d’une province des plus stratégiques pour l’économie du pays et que la mission prioritaire qui leur a été assignée par la voix du peuple est d’adhérer à cet élan national ?
Faut-t-il attendre que des mains propres viennent secouer ce cocotier, comme cela a été fait ailleurs pour que la raison reprenne ses droits sur la déraison ?
En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’aux temps actuels, ni le simple citoyen ni les hautes sphères du pays n’auront la patience d’assister en spectateurs face aux piétinements qui peuvent porter préjudice aux multiples défis que doit relever toute la nation. Et cette vraie bataille censée assurer notre avenir à tous doit impérativement commencer à partir de ce premier noyau de la chaine qu’on désigne sous le nom « Entité communale ».
Un petit tour d’horizon sur tous ces récits que nous avons pu récolter comme témoignages que ce soit de la part des Jdidis vivant ailleurs ou à travers les remarques boudeuses de nombre d’estivants étrangers à la ville, ne fait que confirmer cet état de frustration généralisée qui hante le quotidien de la population locale. C’est à croire que la mutation d’El Jadida s’opère dans une douleur des plus lancinantes et sans la moindre opportunité de secours.
Ce phénomène ne serait-il que provisoire dans l’attente d’une réelle prise de conscience de la part des gestionnaires de la ville ainsi que du devoir de la société civile qui dispose aujourd’hui d’une large fenêtre lui permettant de dépasser le stade des critiques destructrices ou négativistes ?
El Jadida que nous vivons aujourd’hui est incontestablement en souffrance, suite à un cumul de maladresses et d’inattentions souvent inconscientes. Certes son décollage économique a pris au dépourvu les instances les plus averties… mais serait-ce une raison convaincante pour la sacrifier sur l’autel du dénigrement en versant de chaudes larmes sur les nostalgies du passé ?
Les temps sont à la mobilisation constructive de la part de toutes les instances, qu’elles s’apparentent aux corps élus, à la sphère de la société civile et autorités compétentes pour déclencher un large débat sur l’état actuel de notre ville tout en lançant de multiples campagnes de sensibilisation qui ont démontrées leur efficacité sous d’autres cieux.
Qu’on le veuille ou non, El Jadida renaîtra de ses cendres et dépassera assurément ce cap difficile, à condition de ne pas laisser les choses pourrir jusqu’au stade de non retour.