Nous étions tous Marocains, aucune différence n’existait entre nous et ce qui nous réunissait tous, c’était le quartier. C’était un monde à part avec ses lois, ses coutumes, ses contraintes et ses joies. Si vous savez combien j’ai songé à ces beaux jours de mon enfance, riant, jouant avec mes amis à l’école ou au quartier. On partageait nos fêtes et personne ne vivait dans le besoin. On vivait en ‘‘grande famille’’. Si ce bon vieux temps pouvait renaître, pour aller retrouver  nos compagnons d’autrefois, où tous se comprenaient, un temps qui était l’âme de notre joie. Plus d’une fois, je les ai regrettés. On s’exprimait avec le langage, celui de l’innocence, avec notre dialecte marocain, un temps heureux. Je mangeais chez eux et eux venaient manger chez nous. Les portes restaient ouvertes en toute confiance. Parfois même si on arrive et on trouve la porte fermée, pour l’ouvrir il ne fallait que tirer sur un bout de ficelle relié à la serrure et qui traverse la porte à son milieu, de dedans en dehors. On n’avait pas de garde-corps sur les fenêtres ni sur les portes. Nous vivions en toute sécurité, pas comme maintenant. Dans notre quartier que l’on appelait ‘‘JÉRUSALEM’’, il y avait les trois lieux de culte, mosquée, église et synagogue. On n’a jamais connu de fanatiques parmi nous, nous étions frères dans l’humanité. Générés par une même vie.

 

 

 Civilité réservée aux offices du vendredi, le jour sacré pour les musulmans, du samedi, le jour du shabbat pour les juifs et du dimanche le jour du Seigneur pour les chrétiens. On assistait aux trois fêtes sans le moindre incident. Nous étions des citoyens heureux.

On parlait du Maroc avec une fierté. Ce pays est resté consubstantiel à notre identité. Depuis des siècles, ouvert à la modernité, il a toujours été une terre de tolérance et de rencontre des civilisations humaines, sûr de ses origines et références. Plus je prends de l’âge, plus je vois ces guerres entre différentes religions et plus je me sens mal.

 

 

Ma mère me disait que, lorsque j’étais nourrisson, chaque fois qu’elle sortait pour aller faire ses courses, elle me laissait chez les voisins juifs, et lorsque je commençais à pleurer, la femme juive me donnait son sein, ajouta Omar. Ma mère faisait la même chose avec leur petite fille qui avait presque le même âge que le mien. On passait la nuit chez eux et eux chez nous. Le vendredi, ils venaient chez nous pour manger le couscous et le samedi, jour du Shabbat, nous mangions chez eux la Skhina juive. Ce mode de vie était une chance, un enrichissement réciproque. Je me souviens de tout ça comme si c’était hier. Sans parler de l’éternelle reconnaissance des juifs marocains envers le roi Mohammed V qui a eu le courage immense de s’opposer à la barbarie nazie en refusant de promulguer au Maroc, sous protectorat français depuis 1912, les dispositions racistes édictées dès octobre 1940 par le régime de Vichy, et notamment le port de l’étoile jaune. Sa réponse fut : “Il n’y a pas de juifs au Maroc, seulement des sujets marocains. On n’a pas le droit de couper les familles en deux, de séparer les enfants de leurs parents, car la famille marocaine est un tout, une unité sacrée qu’il faut respecter et préserver.” Nous devons être fiers d’être marocains et de vivre dans ce pays ayant eu un tel geste envers les juifs. Le jour de la disparition du souverain, les juifs, extrêmement peinés, sont sortis dans la rue pour pleurer et partager le deuil de leurs frères musulmans.