Les cours particuliers payants: Qui a tort et qui a raison ?
L’approche des examens de fin d’année suscite parmi les candidats, mais surtout chez leurs parents une réelle frénésie pour les cours particuliers payants. Le phénomène prend à El Jadida des proportions dont les conséquences néfastes sont réelles.
Le système éducatif marocain aura eu le mérite, ces dernières années, d’avoir inventé un enseignement particulier qui n’existe nulle part ailleurs. Et, malgré l’interdictionformelle par leministère de l’Education nationale des cours de soutien payants, lescours payants se développent et concernent désormais même les enfants scolarisés dans les premiers paliers. Ce qui, il y a quelques années, touchait les élèves des classes d’examen du cycle secondaire, intéresse aussi les enfants scolarisés en cinquième voire en première année du primaire. Ainsi, sous l’œil passif des chargés du secteur, la nécessité pour l’enfant d’avoir des moments de loisirs et de repos sont bafouées et remplacées par une course après les cours. «Toutes les matières sont concernées par cette façon de faire qui a laissé émerger un comportement nuisible dans le secteur. Les élèves nantis n’accordent plus d’importance aux séances collectives dispensées en classe puisque le soir ils disposent de professeurs particuliers. Ce comportement a son influence sur le reste du groupe et les classes ont fini par devenir une simple escale obligatoire.», commente Meryem M., professeur de français à El Jadida. Voulant avoir son avis sur le thème des cours payants, notre professeur reste catégorique. «Même si de nombreux parents me le demandent, je ne ferai jamais ce travail parce qu’il s’agit d’une histoire de conscience. L’académie, la délégation, voire même le ministère doivent offrir les moyens aux professeurs qui font convenablement leur travail et ils sont nombreux… ».
Certains éducateurs qui n’ont de relation avec l’éducation que l’appellation, n’hésitent pas à réduire, telle une peau de chagrin, les leçons et le savoir à dispenser obligatoirement dans le cadre des programmes annuels pour «chasser» et reconvertir les élèves en clients potentiels. S’agissant des prix, que se soit à El Jadida, Azemmour, Zemamra ou Sidi Bennour, le barème varie d’un prof à un autre, d’une matière à une autre. Le plafond serait 2500 DH/mois par candidat dans un groupe réduit à 12 élèves. Plus le nombre est important moins le prix est élevé. La moyenne admise dans le milieu reste un groupe de 30 enfants et plus pour 400 DH/mois par enfant.
Ces tarifs varient, évidemment, selon la classe fréquentée et la manière dont ces cours sont assurés (cours personnalisés à domicile, cours en classes dans des établissements privés, etc.). Certains enseignants proposent des cours de soutien dans leur propre domicile. Quelques chaises en plastique, un tableau accroché au mur et le tour est joué. Le cours peut commencer même dans des conditions difficiles. Ce sont surtout les matières scientifiques, comme les mathématiques, la physique-chimie ou les sciences naturelles qui y sont enseignées.
Pour les langues (arabe, français, anglais) et même les cours d’éducation islamique, il faudrait là aussi payer le prix fort: 200 DH la séance d’une heure en moyenne.
D’autre part, ce qui nous a frappé le plus est que ces cours payants sont devenus “à la mode” même pour les petits. Sinon, comment expliquer que même les élèves de cinquième année primaire sont inscrits par leurs parents à ce genre de cours notamment en calcul et en langue française.
Va-t-on remettre en cause la conscience professionnelle des enseignants ? Pourtant, ce sont ces mêmes enseignants dans les écoles publiques qui dispensent ces cours moyennant une somme d’argent. Par conséquent, un apprenant en passe de subir une évaluation en fin d’année, laquelle déterminera peut-être son avenir, est une proie facile au surmenage et à des accidents cérébraux à cause de ces maudits cours payants. La pression exercée par les parents, qui n’exigent plus le Bac seulement mais une bonne moyenne pour faire médecine ou ingéniorat, des professions libérales, accentue le risque. La faute et la responsabilité incombent d’abord aux responsables du secteur, à ces enseignants véreux, ensuite aux parents. Qui a tort et qui a raison ? Le ministère, les enseignants, les parents? That is the question.
Et même si le choix de faire suivre ou non des cours scolaires reste un acte individuel, personnel et relevant d’une liberté d’agir des parents, il est de notre devoir d’attirer l’attention sur le phénomène, de dénoncer son caractère lucratif et de refuser qu’il porte atteinte à une profession que beaucoup ont choisie par amour.
C’est notre façon de rendre hommage à nos enseignants qui resteront, à jamais, des exemples pour leur humilité, leur sens du devoir… Même retraités, ils continuent à être adulés et forcent le respect.
Le chemin de l’illicite
À cause des cours payants, les élèves apprendront très tôt que tout se monnaie dans ce bas monde y compris le devoir professionnel: l’argent sert de carburant à la relation humaine et l’éducation morale n’est que fadaise. Ils deviendront des machines froides qui dégainent les liasses pour s’ouvrir le chemin de l’illicite. Aller parler de morale à un adolescent qui, sa scolarité durant, a eu pour modèles des enseignants – il en existe d’honnêtes – qui le harcèlent pour acheter des cours de soutien. La probité, l’honnêteté, l’intégrité ont déserté les pratiques sociales et sont par conséquent des valeurs inconnues des jeunes. Il suffit d’un seul enseignant véreux – plus soucieux du pactole à ramasser que d’éduquer – pour que le bon exemple affiché par d’autres collègues intègres soit gommé. Une patate pourrie, et c’est tout le cageot qui en souffre.