Au Doukkala, quelques jours avant Aïd El Adha, les hommes fréquentent les souks et battent les campagnes pour choisir et acheter leur mouton. Les femmes, quant à elles, préparent toutes sortes de petits gâteaux, achètent les ustensiles (grill, brasero…) et les épices nécessaires pour la préparation des plats.

Ainsi, à quelques jours de la fête de l’Aïd El Adha, l’effervescence a repris de plus belle aussi bien dans la ville d’El Jadida que dans les communes et les villages de la province. L’ambiance est celle de la préparation de ce jour, qualifié de grandiose par tout le monde.

El Jadida, comme les villes et les villages du Doukkala, est en ébullition, quelques jours avant la fête. Partout, on voit des moutons transportés sur les épaules, sur les mobylettes, dans des carrioles, à vélopousses; tous les moyens sont bons. La plupart des bêtes proviennent de (Errahba), située près de la gare ferroviaire de la ville.

Commerçants saisonniers

L’Aïd, c’est aussi l’occasion pour la prolifération de certains métiers saisonniers. Vendeurs de charbon, les connaisseurs en achat du mouton, les commerçants d’aliments de bétail, les aiguiseurs de couteaux munis de machines manuels ou électriques sans oublier les «hammala» ou transporteurs avec charrette ou véhicule. Ainsi, les commerçants saisonniers investissent déjà les rues et les artères de la ville, proposant toutes sortes de produits en rapport avec l’Aïd. Leur nombre a sensiblement augmenté par rapport aux années précédentes.

La veille de l’Aïd El Kébir, tout est purifié : les maisons sont nettoyées de fond en comble, les tissus jusqu’au moindre petit chiffon, consciencieusement lavés.

Les mets des traditions culinaires des Doukkala

L’immolation et le découpage de la viande n’a pas de secret pour les Doukkalis qui se transmettent ces pratiques de génération en génération, quoique de nos jours les familles fassent appel aux bouchers.

Le jour d’Aïd El Adha, une prière est effectuée dans le mossala (aire aménagée pour cette prière). Une fois la prière terminée, chacun rentre chez soi pour procéder au sacrifice rituel du mouton.

Généralement, le sacrifice doit être accompli par un homme pieux qui tranche la carotide de la bête dont la tête est dirigée vers La Mecque. Commence alors le travail : une fois la tête coupée, à l’aide de pompe à vélo ou tout simplement en soufflant dedans. On gonfle l’animal afin de détacher la peau des muscles. Puis par les pieds, on le suspend et on commence à lui retirer la peau très délicatement. Celle-ci sèchera puis sera nettoyée. C’est un très bon tapis pour la prière. La bête est vidée de ses entrailles qui seront conservées. Tout se mange : poumons, foie, cervelle, boyaux, le gras….

Chaque famille garde, certes, ses propres coutumes et traditions, mais généralement dans les maisons doukkalies et plus précisément dans les cuisines, il y a une grande effervescence. Et pour de nombreux habitants des Doukkala, au-delà du rite religieux du sacrifice que l’on observe avec beaucoup de foi, la fête de l’Aïd El Adha, ne prend tout son sens que lorsqu’on renoue avec les mets des traditions culinaires de la région.

Ainsi, une fois le mouton dépecé, on le laisse sécher. Le premier jour, selon les us et coutumes, le mouton n’est pas entamé n’importe comment. Les Doukkalis commencent par «Boulfafe» (morceaux de foie enrobés de crépine grillés). Le soir, on mange du couscous préparé avec l’épaule droite qui, désossée permet d’y lire l’avenir : la bonne récolte, un bonheur quelconque, les jeunes filles peuvent distinguer les silhouettes d’éventuels prétendants… Et aucun repas ne saurait se terminer sans le fameux verre de thé.

Le reste du mouton entier passe la nuit dans la maison enveloppé dans un linge et suspendu. Il n’est découpé que le lendemain. Et selon la tradition, un tiers est donné en aumône, un tiers consommé et un tiers conservé. La viande du mouton est conservée pendant une certaine période (le Guédid). La recette consiste à découper la viande en fines lanières et à la faire mariner dans un récipient en y ajoutant du sel et des épices (cumin, gingembre, curcuma, etc). La dernière étape, c’est le séchage au soleil pendant quelques jours. Le Guédid est utilisé dans la préparation des tajines et en couscous. Avant d’utiliser cette viande séchée, il faut la laisser tremper dans de l’eau pendant une nuit. Le Guédid peut être conservé plus de deux mois. Certains ménages, en plus du Guédid, préparent des petites boules de graisse dans une bande d’estomac ficelées avec des intestins (sel et épices). Ces boules appelées “Courdas” sont utilisées uniquement dans le couscous.

Il reste que, dans certaines familles, le sang et certaines parties du sacrifié sont utilisés à des fins magiques. L’omoplate sert à lire l’avenir. Quand à la Gadida (7 différents morceaux de viande séchée et épicée), elle sert à prévenir la stérilité. Quant aux enfants, de simples observateurs au début, ils prendront part activement à la fête. Ils vont recevoir au deuxième jour de la maîtresse de maison quelques morceaux de viande et des légumes pour confectionner un plat appelé « Khailouta» (mélange).

La fête du mouton se caractérise donc par la joie et le bonheur des gens. Cela se manifeste par le fait de porter de beaux habits.

Aïd El Adha est ainsi une fête et un rituel familial qui comporte d’importants enjeux religieux et sociaux. Il est vrai que la modernité a eu beaucoup d’impacts sur tous les aspects de la vie mais cette fête a cependant su garder son authenticité et son originalité dans le Doukkala.

Les temps ont bien changé

Autrefois, l’Aïd avait aussi ses traditions. C’était une occasion pour la famille et les amis de se retrouver  pour échanger les vœux de l’Aïd. La communion entre les voisins était profonde et peut aller jusqu’à offrir un mouton aux familles pauvres. Mais les temps ont bien changé, on n’égorge plus le mouton comme avant. L’évolution du mode de vie a entraîné de nouvelles habitudes, les gens n’ont pas appris les techniques du sacrifice comme le faisaient leurs ancêtres. Aujourd’hui, le sacrifice du mouton se fait par des bouchers ambulants qui font le tour des zones urbaines et fixent leurs tarifs entre 150 et 300 DH par tête d’agneau. Le sacrifice et son sens demeurent ancrés. Mais les modes ont changé, même les réjouissances ne semblent plus avoir le même goût. Autrefois, le soir de l’Aïd, les gens se livraient à des festivités et à des rituels tels que le «Sbâa Boulabtayne»(le lion aux sept peaux de mouton). 

Les festivités pouvaient durer sept jours. Et le matin du deuxième jour, c’est « Hlilou ». Les enfants et les jeunes y disposent d’une totale liberté pour asperger voisins, amis et passants. Garçons et filles trottent dans les rues à la recherche d’une proie ou d’un point d’eau pour s’approvisionner