« Parmi les nombreuses femmes médecins qui œuvrèrent au Maroc, une place à part doit être faite à madame Delanoë pour son œuvre de trente-cinq ans à Mazagan commencée dès l’instauration du protectorat français.

Eugénie Delanoë est née à Souwalki (Russie). Très tôt, elle milite contre le régime tsariste dans un comité lycéen de résistance qui avait pour but de promouvoir l’instruction parmi les classes défavorisées. Cette activité lui vaut dès l’âge de dix-sept ans d’être l’objet de l’attention de la police politique, ce qui la contraint à fuir son pays pour se rendre à Paris où elle commence ses études de médecine. Elle les poursuit à Montpellier tout en faisant des traductions pour assurer sa subsistance. Elle soutient sa thèse sur la fièvre typhoïde.

En 1909, elle retourne en Russie pour y obtenir le diplôme de médecin à Saint-Pétersbourg. Après une Courte affectation dans une infirmerie de la région de Novgorod, elle revient à Paris et passe avec succès le diplôme de licence es-sciences.

Mariée avec un médecin de colonisation et mère d’un enfant, Georges, né en 1911, elle ne peut suivre son mari nommé en Côte d’Ivoire car le climat malsain de ce pays interdit aux femmes et aux enfants de suivre le chef de famille. Elle répond alors à la demande du général Lyautey désireux de recruter des femmes médecins pour servir au Maroc.

Après un voyage mouvementé, elle arrive avec son fils à Mazagan, petite bourgade, ne comportant qu’un seul hôtel au confort spartiate. Les conditions d’hygiène générale de la ville sont lamentables: pas de service de voirie, pas de caniveaux ni de tout à l’égout. La mortalité infantile y est grande. Le docteur Blanc, médecin-chef de l’infirmerie indigène lui réserve un bon accueil et lui facilite l’installation d’un service de soins pour femmes et enfants.

Une des priorités qui s’impose est de faire face aux épidémies de paludisme et de typhus qui font des ravages. Le docteur Delanoë se donne entièrement à cette tâche et sa condition féminine lui attire nombre de femmes qui n’osaient pas se faire consulter auparavant par un médecin.

Accompagnée d’infirmiers et de brancardiers, qui lui servent de guides et d’interprètes, elle fait tous les matins le tour de la ville n’hésitant pas à entrer dans les gourbis où des familles grelottant de fièvre, sont entassées sans soins ni nourriture. Ces visites ne sont pas sans danger. Nombre de médecins et d’infirmiers ont payé de leur vie le dévouement à leurs malades.

L’effort médical porte aussi sur le traitement et la prophylaxie du paludisme. Eugénie Delanoë institue des distributions massives de quinine aux adultes et aux enfants.

Très vite le succès de son entreprise l’oblige à agrandir ses installations, à créer un service de visites à domicile par des infirmières marocaines formées sur place. Lorsqu’elle visite elle-même les malades, l’accueil chaleureux qu’elle reçoit prouve son rayonnement et la confiance qu’on lui accorde.

Durant la guerre de 1914, elle reste la seule médecin de la place, ce qui lui vaut un énorme surcroît de travail. Etant devenue l’unique responsable des services de santé de Mazagan, elle entreprend la construction d’un hôpital mixte, pouvant accueillir aussi bien des Marocains que des Européens, civils ou militaires. Elle peut mener à bien cette création grâce à la compréhension et à l’autorité du général Lyautey qui, malgré les difficultés, ne lui marchanda jamais son aide.

Surchargée de travail, atteinte de la dysenterie amibienne, elle dût faire face en 1918 à l’épidémie de grippe espagnole et ne put partir se reposer en France qu’en 1920. Petit à petit, elle assume les charges médicales les plus diverses. À ses activités de soignante, elle joint celles d’éducatrice, formant le personnel infirmier, développant l’éducation sanitaire. Elle participe à la création de l’orphelinat de Mazagan, crée l’œuvre de la Goutte de lait et organise des colonies de vacances. Indépendamment de ses activités médicales et sociales, Eugénie Delanoë se passionne pour la musique et est à l’origine, en 1937, de la première manifestation artistique franco-musulmane de musique. Elle entretient des relations suivies avec les notables locaux ainsi qu’avec la famille impériale qui vient passer la saison estivale à Mazagan.

Lors d’une interview donnée à un journal local elle déclare: « J’ai appris à respecter les mœurs et les coutumes des populations que je dois aider. Je tâche toujours de ne pas les choquer et de les comprendre. J’ai appris l’arabe que je parle couramment pour être plus près de ceux que j’assiste. Aussi suis-je bien récompensée. Quand je vais dans un village, tout le monde sort des gourbis pour voir la “toubiba”, toucher ses vêtements, sa main et porter ensuite la leur à leur bouche pour un baiser. »

Eugénie Rubinsteïn-Delanoë et son mari Pierre Delanoë tous les deux sont enterrés dans le cimetière chrétien d’El Jadida.