Un adage populaire dit « avant de choisir ta maison, choisis ton voisin ». Cette maxime chère à nos aïeux, exprime fort bien l’importance des relations entre les voisins. Celles-ci sont censées être bonnes, fraternelles et aimables car comme le dira une sexagénaire, khalti Hlima, « ton proche voisin est comme ton frère éloigné. En cas de circonstances heureuses ou malheureuses, on s’adresse toujours, et en premier lieu, à nos voisins » dira-t-elle.
Toutefois, la notion de voisinage a perdu beaucoup de sa valeur et de son aura. Les problèmes entre voisins vont crescendo ces dernières années à tel point que même les enfants imitent les adultes dans leurs comportements négatifs. Les cités nouvellement construites et regroupant des personnes venues de divers horizons ont contribué à créer le fossé entre voisins. Chacun se méfie de l’autre, tuant dans l’œuf toute tentative de tisser des relations agréables entre eux, rendant la cohabitation plus difficile. En effet, il est très difficile de vivre dans un immeuble où il n’existe pas de contact avec son prochain. « Révolu le temps des voisins qui, dès qu’ils vous voient, vous saluent avec le sourire en sus et lorsque que vous vous absentez, on s’inquiète pour vous » dira Haj Brahim, un natif d’El Jadida occupant une maison basse depuis plus de quarante ans au centre de la rue de France.
« Le voisinage n’est plus ce qu’il était jadis. Les anciens locataires ont vendu leurs logements et les nouveaux ne vous connaissent pas. Ils sont sur la défensive créant d’emblée une tension suivie d’un repli sur soi », explique notre interlocuteur tout en expliquant « qu’une telle attitude est dictée par la crainte développée durant la dernière décennie et les histoires de bagarres pour un simple chahut de gamins ou de vols commis par des voisins à l’encontre de leurs pairs » dira Haj Brahim. Les bagarres et les plaintes déposées auprès des instances sécuritaires sont devenues légion. Les cas exposés dépassent tout entendement. Le vécu de Mme Latifa habitant le quartier Daya est un véritable calvaire.
« C’est un vécu difficile à supporter, en sus du bruit à chaque heure de la journée et de la nuit, ma voisine qui occupe le troisième étage, c’est-à-dire au-dessus de moi, laisse dégouliner les vêtements qu’elle n’essore pas et cela même si mon linge est étendu. Il lui arrive souvent de laisser son tapis au balcon tombant jusqu’à ma fenêtre m’obligeant à user de la lumière en plein jour». «Avertis, les services de police m’ont demandé d’arranger les choses entre nous ou de déposer une plainte ». Le calvaire continue pour cette dame qui au moindre geignement la réponse est toute prête : «c’est ça la vie dans un immeuble, sinon achète-toi une villa».
Le bon voisinage tel qu’il était jadis est confiné dans nos souvenirs d’enfance et la mémoire de nos aïeux. Un souvenir empli d’images d’une voisine qui vous fait goûter une nouvelle recette de gâteau ou de plat, des voisins qui prennent votre défense si un énergumène vous agresse ou encore un encouragement à la veille d’un examen décisif avec l’envoi d’une assiette de galettes. Que d’images positives ternies par les inconvénients inhérents à la vie moderne ruralisée.
Toutefois, dans ce monde dur et rebelle, des situations dignes de nos traditions et coutumes ancestrales sont relevées par certains témoignages. C’est le cas de Zineb, habitant Derb El Ouaâdoudi Habboul, et qui évoque son vécu avec ses voisins avec respect. « À mon arrivée dans cette maison, dont j’ai hérité, il y a douze ans, j’avais une appréhension qui s’est vite dissipée devant l’amabilité des voisins. Lors du déménagement, ils m’ont aidé à faire renter les meubles, ils m’ont apporté de quoi manger ce jour-là. Le jour de la mort de mon mari, ils se sont occupés de tout. Tout au long des années, nos relations se sont soudées et ça s’est déteint sur nos enfants qui font bon ménage » explique-t- elle.
Même satisfaction chez une autre dame habitant dans la cité portugaise« grâce à un bon voisinage entretenu durant une vingtaine d’années, je n’ai jamais eu de problèmes avec mes voisins même si nous habitons en colocation dans la même maison. Je suis tranquille de jour comme de nuit dans ma chambre. Tout en gardant nos distances pour respecter l’intimité de l’autre, mes relations avec les voisins sont excellentes. Ce qui se passe dans certains quartiers, nous effraie. Je ne quitterai jamais le Mellah», explique notre interlocutrice. Les bons exemples sont hélas en voie de disparition.