Ces “envahisseurs” qui, même si certains d’entre eux sont souvent inoffensifs, effrayent les habitants, particulièrement les femmes et les enfants. Ils n’ont pas l’habitude de voir des hommes barbus ou nus traverser le centre-ville et s’interrogent sur les raisons de la passivité des autorités devant ce phénomène.
Un état de fait non fortuit, d’autant plus que ces gens se trouvent à plusieurs reprises derrière des troubles de l’ordre public et agressent même physiquement des citoyens. «On ne procède à la maîtrise des malades mentaux que quand il y a un flagrant délit», a indiqué ce commissaire de police. «Une fois le malade maîtrisé, on le transfère vers le service psychiatrique qui le prend en charge», a-t-il ajouté. Ces transferts ne sont opérés qu’après que ces individus aient commis des actes de violence ou d’agression à l’encontre de citoyens, ce qui, néanmoins, n’est pas une solution en soi, puisque, faute de places et de structures pouvant les accueillir, ces aliénés sont relâchés quelques temps après.
Ce phénomène est passé à une vitesse de croisière au point qu’on ne peut plus effectuer quelques mètres sans croiser un malade mental dans certaines rues. Ces malades, dont bon nombre d’entre eux sont originaires d’autres régions, menacent la population, comme c’est le cas au marché Allal El Kasmi ou celui de Bir Brahim à El Jadida où ils sont en quête de nourriture ou d’argent. Pire, ces malades, agressifs, menacent les passants dans les rues. Pourtant, beaucoup d’entre eux sont passés par le centre de santé ou à Berrechid. Mais leur prise en charge une fois sortis fait défaut.
«Les malades mentaux qui circulent dans la capitale des Doukkala appartiennent, en fait, à deux catégories. La première est celle des malades ayant des familles et qui peuvent donc rentrer chez eux où être récupérés par leur famille. La deuxième catégorie, par contre, est celle des sans domicile fixe, qui n’ont d’autres demeures que la rue», expliquent les passants.
Les malades mentaux constituent un véritable danger à El Jadida. Surtout quand on sait que bon nombre d’entre eux tiennent souvent dans leur main des armes : pierres, barres de fer, bâtons, etc. Ils passent la nuit à la belle étoile, le long des artères principales et des boulevards. Certains se promènent en tenue d’Adam en pleine ville, ce qui est déshonorant pour la dignité humaine. Ce phénomène constitue un danger permanent pour la population.
En pleine place El Hansali, un homme d’environ 23 ans, un «déséquilibré», a attaqué une passante et l’a rouée de plusieurs coups, avant de s’enfuir à toutes jambes. Autre drame, cette fois, non loin de la place Mohammed V. Un homme nu sans domicile fixe, âgée d’environ 40 ans, à la vue de tout le monde, se masturbe sans gêne.
Non loin de la cité portugaise d’El Jadida, un malade mental fait sa toilette tous les matins en tenue d’Adam dans l’indifférence générale du voisinage. Du côté de la grande mosquée Belhamdounia cette fois, c’est un jeune qui brave les intempéries et subit, impuissant, les coups violents des enfants. Un peu plus loin, près de la mosquée Pacha Hamou Bel Abbas, une autre malade mentale livre sa nudité aux regards surpris des passants. Et dernièrement, un malade mental, dans un état d’extrême agitation, a semé la panique en plein centre-ville, à proximité du théâtre Mohammed Saïd Afifi.
Face à ces actes de violence et de folie, que rien ne semble pouvoir expliquer, c’est souvent la même question qui revient: n’y aurait-il pas aujourd’hui de plus en plus de «fous» dans les rues ? Et comment expliquer que des personnes, atteintes par des pathologies mentales graves, aient pu être laissées dans la nature sans une prise en charge adaptée ? Face à ces interrogations, certaines personnes ne peuvent cacher un certain agacement, déplorant que ce débat légitime sur la prise en charge des malades mentaux dans la cité ne soit abordé qu’à l occasion de faits tragiques alimentant les «fantasmes sécuritaires» de la population, alors que des malades mentaux sont livrés à eux-mêmes. Cependant, il faut noter que la crise de la psychiatrie renvoie les «fous» à la rue. Pour prendre en charge les patients en errance, les médecins manquent de structures alternatives à l hôpital.
Pour comprendre ce débat, qui déclenche souvent des réactions enflammées chez les psychiatres, il faut donc remonter au tournant majeur vécu il y’a une quarantaine d’années. Jusqu’à cette époque, les «fous» restaient peu visibles dans l’espace public.
Loin des yeux, loin des villes. Enfermés, bien souvent à vie, dans des “locaux” aménagés près des sanctuaires de Sidi Messaoud (Ouled Frej) et Ben Yaffou (entre Oualidia et Khémis Zemamra et tout près de Gharbia). En contre partie, les familles des malades payaient le loyer et le “Hfid/guérisseur” qui s’occupait de ces malades. Cela fonctionnait comme une petite communauté qui vit au cœur du village. Cette “sous-médicalisation” est due essentiellement au tabou qui entoure les maladies mentales. Rejeté par la société et parfois par sa propre famille, le malade psychique a toujours été considéré comme atteint de folie incurable ou de trouble mental irréversible. Pourtant, la dépression est aujourd’hui parfaitement curable, grâce aux formidables progrès thérapeutiques dans ce domaine. D’autre part, au Doukkala, certaines familles, épuisées et désespérées, ne se donnent plus la peine de ramener leurs malades au service psychiatrique d’El Jadida. «Quoi bon de ramener mon frère qui souffre mentalement, à l’hôpital, pour être ensuite relâché, tout juste après», commente un membre de la famille d’un malade mental, qui ajoute «le malade mental est considéré comme un simple objet, et non comme un être humain doté de personnalité. Lorsque le malade mental présente un danger pour la société, il est tout simplement traité chimiquement».
Cependant, il faut avouer que c’est trop facile d’accuser la psychiatrie d’abandonner ses fous, alors que c’est la famille et la société qui abandonnent leurs pauvres. C’est vrai que les contingents de malades mentaux errant dans les rues de la ville, qui sont rarement ramassés et ensuite déposés par les forces de l’ordre et la protection civile, au service psychiatrique de l’hôpital, sont illico presto libérés, faute de moyens bien sûr. Mais il faut signaler qu’à El Jadida, malgré le fort dévouement du personnel du service psychiatrique pour la prise en charge des malades, la situation reste peu reluisante et la couverture médicamenteuse des malades mentaux est très faible. Face à cette situation psychiatrique alarmante, les autorités provinciales, le conseil provincial, l’INDH et le conseil municipal doivent donner une priorité à l’augmentation de l’offre de soins par la construction d’un centre de psychiatrie pour améliorer les conditions difficiles des malades mentaux. Quant à la délégation provinciale du ministère de la Santé, elle est aussi plus que jamais interpellée. En attendant la construction de ce centre, pourquoi ne pas constituer des équipes mêlant psychiatres et bénévoles pour parcourir la ville afin d’aider les malades mentaux sans domicile?