À bâtons rompus avec

Abdelhak Benchikha, entraîneur du DHJ

«Le sérieux de mes joueurs m’a permis de brûler  deux grandes étapes de préparation»

Après quelques mois de présence à la tête du porte- fanion des Doukkala, Abdelhak Benchikha, le coach algérien a bien voulu livrer, en exclusivité, ses impressions sur son poste, sa mission et son regard sur le football national et maghrébin. Son envie de bien faire, son amour pour son métier, son souci de la communication, notamment vis-à-vis des médias, ont fait de lui le deuxième entraîneur à être adopté et adulé par les publics jdidis et doukkali après le Hongrois Paul Orotz qui avait fait le bonheur du DHJ et de l’équipe nationale marocaine en leur produisant 3 grandes pièces maîtresses au nom de Baba, Chrif et Mustapha Yaghcha. Un dénominateur commun lie ces deux grands messieurs du football est cette phrase « Je me sens comme un poisson dans l’eau ». Les deux ont vécu cette réalité. Or, si les Jdidis te donnent cette impression, c’est que tu es de ces gens qui méritent, vraiment, tous les égards. Le général nous dit tout !

Azzedine Hnyen: – Une question de routine. Qui est Abdelhak Benchikha ?
Abdelhak Benchikha: – J’ai obtenu mon bac en 81. J’ai fait un bac+5 et un autre +7, le mastère en méthodologie sportive à l’Institut des Sciences et Technologies du Sport (INSTS). Entretemps, j’étais footballeur dans diverses équipes algériennes et tunisiennes ainsi que dans toutes les équipes nationales de mon pays, toutes catégories confondues. En fin de carrière, j’ai embrassé le métier d’entraîneur. J’ai travaillé un peu partout. En Algérie au Mouloudia d’Alger, à El Harrache, à Belâbbès, aux Emirats Arabes Unis, à  Doha et en Tunisie à l’Espérance de Zarzis et au Club Africain. Je me suis occupé, également, en Algérie des U 21, des U 23, de l’équipe nationale des locaux, de l’équipe A’ et de l’équipe nationale première. Voilà grosso modo qui est Abdelhak Benchikha.
A.H :-  Et Abdelhak l’homme ?
A.B :- Un bon citoyen qui s’acquitte de ses impôts et un très bon père qui aime jalousement sa famille. J’ai deux grands garçons et trois filles. Ce sont ma vie. C’est pour eux que je vis.
A.H :- Vous sentez- vous à l’aise à  El Jadida?
A.B :- Absolument. Sinon, je ne serais pas là. J’ai eu ce sentiment depuis que j’ai posé mes pieds sur cette terre hospitalière. Vous savez, je suis au mois sacré de Ramadan. Toutes les gens se chamaillaient entre elles pour que je sois de leur table à la rupture du jeûne. C’était extraordinaire. Ainsi, nous avons tissé des liens amicaux plus que professionnels. Ces liens sont devenus, par la suite, familiaux. Je suis, partout, bien accueilli. Tout le monde est content. Notamment la presse locale et tous les Doukkalis. Je n’ai jamais vécu pareille situation.
A.H :- Ainsi vous êtes comme un poisson dans l’eau.
A.B :- Oui, c’est ça. Comme vous dites, je suis comme un poisson dans l’eau.
A.H :- Vous avez été dans plusieurs autres pays arabes frères. Qu’est- ce qui vous a frappé à El Jadida?
A.B :- C’est la familiarité des Jdidis et des Doukkalis d’une manière générale. A El Jadida, c’est spécial. C’est, d’abord, une zone touristique. Ensuite, c’est une très, très belle ville. On y jouit du calme, du respect et de la tranquillité. Mis à part le mois d’août où il y avait beaucoup de monde, c’est une ville, vraiment, très intime.
A.H :- En été dernier, vous aviez déclaré à un quotidien national francophone qu’entraîner le DHJ est, pour vous, un privilège. Pourquoi un privilège ?
A.B :- Un privilège, tout d’abord, de travailler au Maroc. Bien avant, je souhaitais venir au Maroc. J’avais entraîné en Algérie, j’ai gagné des titres. J’ai fait la Tunisie. J’ai gagné des titres. Je me suis dit pourquoi pas le Maroc. J’ai eu cette opportunité. Un privilège parce que je me considère chanceux de travailler dans les trois grandes nations footballistiques de l’UMA (Union Maghrébine Arabe). Cela me permettrait un rêve qui m’habitait depuis belle lurette et qui est de faire une analyse profonde et complète du football maghrébin pour voir le comment de la chose, le pourquoi de la chose. Bref, tout ce qui intéresse ce foot- ball. J’entends compléter mon étude.
A.H :- Maintenant que vous avez une idée sur votre équipe, est- ce la même que vous aviez avant votre arrivée ?
A.B :- Franchement non. Avant mon arrivée, je pensais que ça allait être très difficile à un mois du lancement de la compétition. Je devais brûler les étapes pour préparer, tout d’abord, mon groupe athlétiquement et, ensuite, tactiquement pour implanter dans les esprits des joueurs, mes idées. Or, cette phase exige beaucoup de temps et, sincèrement, je le pensais. Seulement, mes poulains, studieux et très réceptifs, m’ont facilité la tâche et m’ont permis de brûler deux grandes étapes de deux mois chacune. Cette assimilation rapide m’a encouragé et m’a poussé à planifier un autre travail.
A.H :- Vous êtes content, donc, de vos protégés ?
A.B :- Evidemment. Ce sont des joueurs appliqués et qui ne se posent pas de questions. Et pour mieux comprendre la chose, je vous donne une métaphore. Je peux leur demander, par exemple, de défoncer un mur. Ils le font sans se poser de questions. Et ce n’est qu’après l’avoir démoli qu’ils me demandent pourquoi.

A.H :- Un commando en quelque sorte.
A.B :- Oui c’est ça.
A.H :- Ce n’est pas, donc, pour rien qu’on vous surnomme « le Général » ! (Rires). Lors de votre présentation à la presse locale à votre arrivée, vous aviez déclaré, entre autres, que l’un de vos objectifs était l’une des 5èmes places au classement général. Maintenez- vous votre déclaration ?
A.B :- Absolument…
A.H :- N’était- ce pas hasardeux, de votre part, alors que vous ne connaissiez rien de votre équipe?
A.B :- Oui, c’est vrai. Seulement, les gens n’avaient pas compris ce que je voulais en faisant une telle déclaration. Je savais qu’il y avait des clubs de gros calibre et que la concurrence serait rude. En agissant ainsi, j’entendais frapper fort dès le début et mettre la barre haute. Vous savez, il y a un dicton qui dit « Demandez la lune pour atterrir sur les étoiles ». J’ai voulu transcender ce groupe par cet objectif. A El Jadida, on a appris à jouer uniquement pour animer le championnat. Pourquoi pas ne pas agir et se comporter autrement ?
A.H :- C’était, en quelque sorte, une motivation, une émulation ?
A.B :- Oui, c’était ça. On ne joue pas seulement pour gagner un match. On doit viser un objectif. L’idée, maintenant, de gagner quelque chose est ancrée dans les esprits des joueurs. L’intérêt du Difaâ Hassani Jadidi doit primer et prévaloir. C’est ce qu’espèrent et attendent, en premier lieu, ses fanatiques. Servir, avant et après tout, le Difaâ. C’est la mission à laquelle nous sommes tous attelés. Celui qui ne se sent pas prêt et capable d’aller au charbon, qu’il le dise sans la moindre honte. Je veux que tous les joueurs soient au top de leur forme. Je veux qu’ils donnent le meilleur d’eux -mêmes sur le terrain. Et celui qui ne se sent pas prêt ni capable à adhérer à cet objectif, qu’il le dise sans la moindre honte. Je veux qu’on soit franc avec moi. Je suis quelqu’un qui aime la franchise.
A.H :- Vous êtes, dit- on, un homme de défis. N’aspirez- vous, secrètement, à mieux qu’un classement dans les 5 premiers du tableau du classement ?
A.B :- Je ne veux, en aucun cas, mettre la pression sur mes joueurs. Ils n’ont pas beaucoup d’expérience. On le sent dans leur gestion des matchs. La pression, je la mets, totalement, sur moi pour protéger mes poulains en quelque sorte. Moi, je vis match par match. A chaque fin de match, je fais mon bilan pour voir si j’ai la moyenne ou non. Actuellement, je fais celui des 5 premiers matchs du championnat joués jusqu’ici. Après avoir fait celui des 5 prochains matchs, je vous dirais si nous sommes dans les normes pour gagner quelque chose ou nous sommes en dessous.
A.H :- Vous avez vu jouer, apparemment, toutes les équipes à domicile et à l’extérieur. Où pouvez- vous classer votre équipe ?
A.B:- Je ne peux pas.
A.H :- Je parle, bien entendu, de son niveau technique.
A.B :- Honnêtement, je ne peux pas. Je serais prétentieux si j’émets un jugement. Certes, à l’heure où je vous parle, nous sommes 3èmes dans le classement. Mais il y a des clubs qui n’ont pas encore décollé. Il y a le Raja, le Wydad, les FAR et d’autres équipes qui vont revenir. Les équipes tombent sur une jambe. Mais elles se relèvent. Et ce n’est qu’à leur retour que je pourrais faire une évaluation de mon équipe. On ne peut donner un avis juste tant que nous sommes au- début du championnat.
A.H :- Que pensez- vous du championnat pro Elite 1 ?
A.B :- En toute objectivité, il y a beaucoup de satisfactions. Certes, les ténors piétinent encore. Mais il y a d’agréables surprises. Il y a le KACM qui se trouve en 2ème position du classement. Il y a, aussi, le Moghreb de Tétouan qui confirme tout le bien que pensent les gens de ce club. Il draine derrière des gens qui ne sont pas des moindres. Il y a la grande foule. Tous les matchs de la Botola sont télévisés. Cela n’existe pas dans les autres pays du Maghreb. J’ai relevé, aussi, un bon arbitrage malgré quelques erreurs d’appréciation. Je ne m’étais jamais senti lésé. D’un autre côté, il y a de jeunes arbitres qui percent et qu’il faut encourager. Mais attendons que la mayonnaise prenne. Nous sommes qu’au début. A ce moment, nous pourrons porter un jugement plus valorisé.
A.H :- Certains observateurs et chroniqueurs sportifs estiment qu’il n’y a que trois ou quatre équipes qui méritent tous les égards. Ne pensez- vous que ce n’est pas une injustice commise envers d’autres équipes qui se démènent pour progresser, évoluer et s’imposer. Ne croient- ils pas au changement des forces ?
A.B :- Vous savez, nous les Maghrébins, nous sommes prisonniers du passé. On ne regarde pas devant. On regarde toujours derrière. Au contraire, il faut s’intéresser à ces équipes auxquelles vous faites allusion et les encourager, par conséquent, pour leur souci et leur désir pour s’améliorer. Il y va de l’intérêt du Maroc et de son championnat national. Et pour que ce dernier soit fort et performant, il faut laisser les joueurs partir jouer au lieu de les laisser moisir dans les tribunes. Il faut les encourager à jouer pour d’autres clubs qui ont besoin d’eux. Il faut une force individuelle qui fait que toutes les équipes peuvent produire. Vous aurez, ainsi, des équipes compétitives et, par là, un championnat de valeur.
A.H :- Actuellement, nous sommes à la troisième année de l’ère du professionnalisme. A votre avis, le joueur marocain local a- t- il, vraiment, cet esprit d’un professionnel ?
A.B :- Le professionnalisme est un mode de vie. Actuellement, le joueur marocain est entrain d’apprendre. Le professionnalisme au Maroc profitera à une autre génération. Mais, en tous les cas, pas à celle- ci. Maintenant, c’est l’ère d’apprentissage sur le comment de la chose, comment établir un contrat d’engagement, comment se comporter. Nous, on corrige, on corrige et on corrigera perpétuellement pour qu’une autre génération en profite pleinement.
A.H :- Ne pensez- vous pas que le niveau d’instruction des joueurs, laissant beaucoup à désirer, qui les empêchent de se comporter en des professionnels de métier ?
A.B :- Oui. Nous du monde du football, nous avons l’honneur, la chance et le privilège de gérer, pratiquement, des analphabètes. En football, ce n’est pas facile de gérer 24 analphabètes millionnaires. Même un fin psychologue n’en serait capable. Seul l’homme du domaine, du terrain qui peut gérer cette situation. Notre rôle est d’éduquer ces gens pour faire des joueurs modèles.
A.H :- Ne doit- on pas songer à leur apprendre à lire et à écrire ?
A.B :- C’est vrai. Apprendre à lire et à écrire est la première des choses. Ensuite, il faut leur apprendre, par exemple, à communiquer, comment faire une interview, comment se tenir devant une caméra. Leur inculquer, en bref, l’éducation de la vie pour leur carrière professionnelle, leur comportement et leurs attitudes dans la société. Ce n’est qu’après qu’on pourrait solliciter un psychologue pour gérer la compétition. Celui- ci, vu son niveau intellectuel, ne pourrait prétendre à une autre mission autre que celle de gérer les compétitions.
A.H :- Si on passe à un autre volet. Les équipes nationales marocaine, algérienne et tunisienne ont perdu leur aura et leur punch au profit des pays subsahariens qui n’étaient pour elles, dans le passé, qu’une simple formalité. Que peut nous dire un spécialiste, comme vous, sur ce renversement de situations ?
A.B :- Parce qu’on rigolait tout simplement. On n’a jamais regardé devant. On est resté captifs de notre passif. On ne s’est jamais soucié de la formation de l’homme et du footballeur. On vit le jour le jour. On est resté captif de notre orgueil de supériorité. Pendant ce temps, on se démenait dans les autres pays pour progresser, pour améliorer leur niveau footballistique. Pour y parvenir, ils ont encouragé de grands clubs européens à implanter dans leurs pays respectifs des centres de formation de footballeurs. Le résultat a été fort concluant. Des pays inconnus et dépourvus ont émergé.
A.H :- Pourtant, ces équipes maghrébines, en particulier le Maroc et l’Algérie, font appel à des joueurs professionnels de grosse pointure. Mais ça n’a pas abouti.
A.B :- Parce que dans la sélection, on ne peut pas travailler. En sélection, il y a un choix à faire. Ou on fait appel à des joueurs fin- prêts de l’Europe ou on se contente des joueurs locaux. C’est une équation très, très délicate pour un sélectionneur parce qu’il ne dispose pas suffisamment de temps pour parfaire son travail. Ou tu as des joueurs comme Messi, Ronaldo, Ozil, qui viennent jouer et repartent. Vaut mieux travailler avec des joueurs locaux durant 3 ou 4 jours par semaine pour former une équipe nationale compétitive, cohérente et efficace. Quitte à travailler un bout de temps. C’est un peu vrai. Il y a beaucoup d’adeptes de cette alternative. Seulement, il s’est avéré que le joueur local, même pétri de très qualités techniques, n’est pas régulier. Il te fait, un jour, un très grand match et roupille dans d’autres.
A l’image du championnat, à l’image du groupe.
A.H :- Que faut- il à nos équipes nationales pour retrouver leur punch ?
A.B :- Il faut travailler d’arrache- pied et avoir plus de confiance. En équipe nationale, on ne joue pas. On défend. Il y a une différence entre jouer et défendre. L’équipe nationale, c’est défendre les couleurs de la patrie. Si on a cette fois de défendre les couleurs de sa patrie, tout ira bien. L’équipe nationale, ce n’est pas un club. En équipe nationale, tu ne joues pas Mais tu défends. Si on arrive à discerner jouer et défendre, le Maroc, l’Algérie et la Tunisie seront des ogres.
A.H :- Qui assume ce déclin de nos équipes nationales ?
A.B :- Les responsables. Nous les entraîneurs, l’entourage des clubs, les présidents, les fédérations, les ministères de tutelle. Tout ce beau monde doit s’impliquer davantage pour redorer le blason d’or de notre football maghrébin.
A.H :- Un mot de la fin.
A.B :- Je demande à nos supporters de venir en force pour nous soutenir et pour contribuer à la réussite de notre projet.