La semaine dernière, un accident de parcours s’est produit entre la Fédération royale marocaine  de football (FRMF) et la FIFA, suite auquel les résultats du vote de l’AG élective qui a porté Fawzi Lekjaâ à la présidence de la fédé ont été rejetés par Zurich ; en effet, l’instance suprême du football mondial a considéré cette élection comme attentatoire aux principes démocratiques, aux règles de représentation et à l’idée d’égalité des chances, parce que tous les clubs ont droit de vote, quels qu’ils soient et où qu’ils soient… Il ne faut pas considérer cet accident comme une mauvaise nouvelle sportive seulement… non, il indique aussi et surtout que le Maroc, comme Etat et comme société, s’est éloigné de la gestion démocratique telle qu’universellement connue.

Le rejet de l’élection du président de la FRMF par la FIFA a fait le tour du monde et a donné une mauvaise image du pays que toutes les publicités du monde ne sauraient gommer, malgré les millions de DH engloutis pour cela par le ministère du Tourisme.

Imaginons maintenant qu’il ait existé un comité de l’ONU qui valide et invalide les élections dans le vaste monde qui est le nôtre… Aurait-il reconnu ne serait-ce qu’une seule de nos élections ? Question sérieuse et non caricaturale, une question qui interpelle notre Etat, nos partis, notre gouvernement, notre parlement et toutes les institutions en charge de la gouvernance… La démocratie et la gouvernance sont en train de s’imposer dans toutes les contrées du monde et personne n’accepte plus un appareil peu ou pas démocratique pour gérer ses affaires, des plus grandes comme les Etats aux plus petites que sont, par exemple, le football… La démocratie, et rien que la démocratie, en tant qu’élections libres et transparente, en tant qu’égalité des chances entre tous, sans considération de race, de religion, de langue ou de couleur, en tant que loi de la majorité et de la minorité, en tant que liberté dans les choix, en tant que droit de la majorité à gouverner et  que devoir de l’opposition de s’opposer, en tant que liberté et diversité des médias, en tant que séparation des pouvoirs, qu’indépendance de la justice, en tant que consubstantielle du principe de

la reddition des comptes et du respect des droits de l’Homme, en plus du droit à la vie et à la dignité dans la vie… La démocratie !

Ce sont là les règles de la pratique démocratique, universelle, et pas seulement une idéologie ou une philosophie qu’accepte l’Américain, auxquelles s’oppose l’Indien, avec lesquelles compose le Français, qu’évite l’Africain… Non, absolument pas, la démocratie est désormais inscrite au patrimoine et dans le génome universels de l’humanité toute entière. La démocratie a fait ses preuves et a montré ses avantages politiques, économiques et sociaux. La démocratie n’est certes pas la panacée mais est la moins mauvaise des solutions. Ce ne sont pas là prose et/ou jugement de valeur : il est prouvé que les pays les plus avancés en politique, en économie et en savoir et technologie  sont aussi les plus démocratiques, et leurs citoyens les plus libres et les plus prospères.

Cette légende de l’exception marocaine sur laquelle le régime de Hassan II s’était fondé pour repousser la pratique démocratique pour des décennies s’est révélée être fort coûteuse et nous en payons encore et toujours le prix. Cette approche de la politique, Moulay Ahmed Alaoui l’appelait la démocratie hassanienne, et avait œuvré à instrumentaliser le contenu de la culture makhzénienne aux fins de  bloquer les principes de la pratique démocratique pour aucune autre raison que de maintenir le plus de pouvoir possible au palais qui pensait tenir là  la meilleure manière de pérenniser son existence face à une opposition radicale et comploteuse.

Mais avec le temps, l’exception marocaine est devenue une idéologie fatale à toute forme de progrès et d’ouverture. Les théoriciens et idéologues du pouvoir, les élites traditionnelles et makhzéniennes ont alors assuré la promo de cette idée d’exception en l’enrobant d’un vernis religieux selon lequel ceux qui y croient sont de vrais marocains ancrés à leur histoire, et de vrais musulmans attachés à leur identité et rejetant celle de l’Occident. Le pouvoir a injecté un argent fou dans les rencontres et colloques, dans les journaux et magazines, dans les discours et tribunes, au point que l’exception marocaine a été inscrite parmi les fondamentaux de la nation. De fait, nous nous sommes trouvés face à un système politique complexe qui lutte contre toute ouverture démocratique au moyen d’une très forte immunisation naturelle ; à chaque tentative d’évolution profonde de la structure de pouvoir, ce système immunitaire agit spontanément… et cela se poursuit encore aujourd’hui, ne menaçant pas seulement les opposants, mais aussi la stabilité de l’édifice Maroc et sa capacité d’évolution pour rejoindre le club des nations modernes.

Aujourd’hui, l’Etat exploite la faiblesse et l’esprit conservateur de la société et tire aussi profit de ses élites qui ont choisi de danser au rythme de l’Etat par peur ou par intérêt, pour maintenir en vie cette fable de l’exception, létale pour la démocratie.

Joseph Blatter, et bien qu’il ignore certainement les dessous de l’exception marocaine, lui a infligé la semaine dernière une sérieuse douche froide, glaciale, laissant le Maroc à nu devant les nations parce que si le pays ne sait même pas élire un président du football national, comment diable pourrait-il bien élire un parlement et un gouvernement ?